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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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12 mars 2006 7 12 /03 /mars /2006 00:00

Le temple a été reconstruit récemment. Comme d’autres bâtiments, comme la cabane de Du Fu à Chengdu, il a été détruit souvent et souvent reconstruit. Les Chinois sont moins des bâtisseurs que des reconstructeurs. Détruire constamment leur permet de mettre en œuvre leurs prodigieuses capacités d’imitation et de répétition.

Le temple est en hauteur et est battu par les vents. Les gens de la région le connaissent surtout pour les prophéties et divinations qu’on vient entendre. Léa, la petite amie de Serge, y a déjà pris connaissance de son avenir : tout était mauvais, le boulot, l’amour, tout était promis à un échec retentissant. Heureusement qu’on ne croit à ces choses-là que lorsque cela nous arrange.

Le brouillard était d’une densité rare. Dans une cour, où je ne voyais que le contour d’un petit kiosque, je crus voir une forme humaine, ou un fantôme, partir obliquement vers la montagne.

                                                    

Dans la première cour centrale, les visiteurs achètent de gros bâtons d’encens, l’allument dans la salle des bougies, où les gens pleurent à cause de la fumée, prient devant une pagode et jettent leur encens dans une grande chaudière sacrée. De la fenêtre de la chaudière, le voyageur se réchauffe à la belle lumière du feu qui, si le voyageur vivait au Moyen âge, se confondrait, à ses yeux, avec l’enfer.

                                         

Plus poignants encore sont les laïques qui apprennent à prier aux nouveaux venus. Bien emmitouflés, ils guident les nouveaux fidèles du geste et de la voix. Ils assurent la relève et la survie d’un rituel que les gens ont oublié, à moins qu’il n’y ait des gestes spécifiques aux lieux mêmes de Mao shan.

                                                         

Dans les temples en enfilade commencent les files d’attente pour se faire lire l’avenir. Comme dans certaines administrations, on fait patienter les clients en les dirigeants vers plusieurs fonctionnaires qui remplissent divers papiers, ce qui a pour effet de donner l’illusion d’agir et de réduire le stress. Ici, le fidèle a affaire à deux bureaux, où officient des moines aux chapeaux pleins de dignité. Au bureau de droite, le fidèle paie vingt yuans, puis tire au hasard un bâtonnet dans un bocal en bois. Le moine regarde le bâtonnet et donne à la place une feuille de papier correspondant. Le visiteur lit, médite, et fait la queue au bureau de gauche pour qu’un autre moine lui donne une interprétation plus compréhensible, et peut-être plus personnelle, de cette prophétie éditée en milliers d’exemplaires. Le moine herméneute s’aide d’un stylo bille et fait son travail avec enthousiaste. Il est entouré d’une foule captivée qui rit à ses plaisanteries. Il est, à l’évidence, la star bonimenteuse de la foire taoïste. (Ceci n’est pas une moquerie gratuite, les abords des temples ont toujours été des lieux de foires, de spectacles ambulants et de marchés.)

                                   

Le moine de droite, en revanche, est atrabilaire et râle quand je le prends en photo. Son rôle n’est pas très prestigieux, il est vrai, d’autant moins que personne ne lui demande d’utiliser ses beaux pinceaux.

                                                       

Non loin, la statue du Dieu Xuanwu présente au public un doigt d’honneur. Le voyageur, s’il provenait directement des banlieues françaises, se tiendrait les côtes, assurément.

En sortant du dernier temple, j’avais perdu Serge. Le brouillard était tel que j’évitais de calculer mes chances de le retrouver. Lui-même était peut-être aussi à ma recherche et nous pouvions tourner dans le temple des jours, ainsi, sans résultats. J’allai dans une galerie couverte qui donnait sur la montagne ; imprégnée par la brume, la solitude qu’on y ressentait était froide et endormante. Un esprit imaginatif, influencé par l’atmosphère ésotérique du lieu, aurait eu de la peine à ne pas se voir transformer en fantôme étranger, en divinité moderne condamnée à errer dans les travées et les pavillons. 

                                                         

Rien ne me disait que je serais en mesure de rentrer à Nankin ce jour-là, ni jamais.

 

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commentaires

G
Belle theorie portative. Une theorie adaptee aux humeurs du voyageur.
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B
Ecrivons donc un livre à quatre mains, toi les textes et moi, les commentaires. J'ai souvent le sentiment de vivre avec ce blog quelque chose d'intense à la faible mesure qui est la mienne. Mais je ne sais me servir que de deux doigts pour taper au clavier. Pour qu'il y ait quarante doigts, il faudrait faire appel à tous les Commentateurs de ce blog. En somme, la chose est déja en train de se faire.<br /> La notion de trace que tu empoies est intéressante, c'est une notion typiquement taoiste. Il y a un beau texte de Zhuangzi, 14 : malgré sa pratique des classiques (jing), Confucius s'attriste de voir son enseignement rester lettre morte. "Mon pauvre ami, répond Laozi...L'empreinte (ji) a beau provenir de la chaussure, elle ne saurait se confondre avec elle."De quelle chaussure un monastére taoiste peut-il donc être la trace? "Il suffit aux hérons de se regarder dans le blanc de l'oeil sans ciller, aux insectes de chanter l'un au-dessous de l'autre pour se féconder ...Sitôt que mâle et femelle s'accouplent suivant leur espèce, la transformation vitale s'accomplit sans entraves."La chaussure, c'est un accouplement du monastère et du voyageur qui génère une transformation vitale : le Tao."On n'emprisonne pas le Tao. Tout est possible à qui l'a trouvé, rien n'est possible à qui l'a perdu."
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G
Formidable, Ben, ce que tu dis de mon texte le rend beaucoup plus interessant que je ne l'avais imagine.  C'est un veritable poeme en prose que tu reveles ici. Tu devrais faire de la critique litteraire, mon ami, tes articles vaudraient mieux que les livres commentes et leur offrirait un superbe ecrin.<br /> Maintenant, le temple de Mao shan n'est pas ininteressant, il presente seulement l'interet, a mes yeux, des autres temples taoistes qu'on peut visiter en Chine. Je ne sais pas comment on peut y voir les traces de sa lointaine et prestigieuse origine. Il faudrait peut-etre connaitre un moine personnellement...<br /> Quoi qu'il en soit, je ne te remercierai jamais assez de m'avoir donne l'idee d'aller y faire un tour, car ce fut une excursion extraordinaire, qui valait bien son pesant de chaine de velo. 
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B
L'impression que laisse la lecture de ton récit est curieuse. L'ensemble paraît sans intérêt et un peu hostile, le monastére est une reconstruction récente, les pratiques sont incompréhensibles ou tirent vers le charlatanisme et le folklore, en plus il y a du brouillard et on ne voit même pas le paysage. Le tout endort un peu et tu finis dans une espèce de cauchemar dantesque. On commence avec du sordide, en guise de porte des enfers un tas d'ordures, le cerbère se fait payer une prédiction débile, on trouve la fournaise, des esprits fantomatiques  et on finit sur un malaise engourdi. Moi, je ne reconnais absolument rien du " tao de la grande pureté", il fallait s'y attendre, certes, mais je suis un peu gêné de t'avoir suggéré cette excursion. En même temps, j'ai l'impression que la visite constitue une expérience forte : est-ce pour meubler le récit que tu y ajoutes un caractére sinistre, ou l'éloignement  et le sentiment de perte du voyageur sont-ils si complets qu'il doute de pouvoir jamais revenir en arrière et "rentrer à Nankin ce jour-là, ni jamais"? 
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