Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
  • Contact

Rechercher

Archives

3 août 2005 3 03 /08 /août /2005 00:00

Un des avantages de ce travail à Jiangning était que j’étais logé, pour rien, dans un appartement du campus. Je m’en faisais une joie, c’était comme aller à l’hôtel une ou deux nuits par semaine, dans un environnement très différent de celui du centre ville. Quand on me le fit visiter, j’eus la surprise de voir l’appartement déjà occupé par une jeune étudiante, petite et menue. Elle y habitait avec sa mère, mais elle était tout à fait d’accord pour que j’investisse la grande chambre, libre, dont le matelas était encore couvert de plastique. La mère déboula, charmante petite femme, me parlant chinois avec naturel. Elles m’invitèrent à manger le lendemain soir.

Le repas fut fameux. Composé de riz, d’un plat de porc aux champignons, de tranches de bœuf froid, de légumes vert, d’une soupe de persil et de cacahuètes grillées, le dîner était rehaussé par le joli visage de l’étudiante, dont la conversation et le sourire, dont la gentillesse et l’ascendance avaient tout pour rendre un homme heureux.

Route Etroite était malade, ou avait été malade, et ne pouvait manger la nourriture du restaurant universitaire, qui, moins succulente, n’était cependant pas si éloignée des productions de sa mère. La conversation roulait grâce à toute sorte de stratagèmes d’interprétariat, de compréhension orale globalisante, de traduction simultanée. Toujours entre le français et le chinois, nous ne parlions aucune langue connue, mais nous communiquâmes bel et bien, et fîmes connaissance. Fréquemment, je m’étonnais de ce qu’elle me disait et je m’exclamais : « C’est vrai ? » A quoi elle dodelinait du chef en souriant : « C’est vrrrai ! » Je songeais au bonheur que ce serait de partager la vie de cette fille. Je tournais la tête vers la mère qui ouvrait de grands yeux sur moi, interrogatifs, et ravis de me voir manger de bel appétit. Nous allions bien nous entendre, tous les trois.

L’étudiante devait repartir à dix-neuf heures dans une salle de classe pour deux heures d’études obligatoires. Le matin, elle devait aller en classe à huit heures, alors que les cours ne commençaient qu’à neuf heures, et ne s’arrêtaient quasiment pas jusqu’à seize heures trente. Ce rythme soutenu lui pesait aussi lourd qu’une plume de pigeon, puisqu’elle m’avouait que la charge de travail qu’elle avait eu au lycée, les années précédentes, était bien supérieure.

J’accompagnais Route Etroite dans la direction de la salle de classe, histoire de digérer. Sa démarche n’était ni très rapide ni très assurée. Nous nous rencontrions souvent, du bras ou de la hanche. Si elle avait été plus grande, ou moi plus petit, nous nous serions cognés gentiment de l’épaule. Avant dix-neuf heures, le campus était vivant, les étudiants achetaient leurs dernières provisions avant d’aller en étude. Je participais à l’effervescence en y allant de mes achats, des biscuits, des pantoufles, que sais-je ? des bonbons aux fruits pour Route Etroite, qui ne me quittait pas d’une semelle, sans que je sache si c’était moi qui lui plaisais, si  ma compagnie représentait à ses yeux une forme d’honneur particulier, ou s’il fallait y voir un accomplissement fidèle de son devoir d’hôtesse vis-à-vis du nouveau locataire. Je la renvoyai à ses chères études et procédai à des emplettes moins avouables. Au retour, la mère de Route Etroite croisa mon chemin à bicyclette. Elle aussi avait du travail entre sept et neuf heures du soir. Nous nous sourîmes, incapables de trouver une parole communément compréhensible en cette circonstance.

Beaucoup de salles de classe étaient allumées, donnant à l’université des allures d’usines postindustrielles, en partie à cause des haut-parleurs qui déversaient des sons monotones et injonctifs.
 

Route Etroite était tout sourire quand elle rentrait, le soir. Je l’invitais à prendre place sur le canapé et nous parlions. Elle cherchait ses mots tellement longtemps que je pouvais la regarder tout mon soul. C’était, certes, une très jolie fille. Ses cheveux étaient plus propres certains jours de la semaine, elle devait les laver un jour précis par semaine, comme un rituel. Ses mains étaient une petite splendeur de finesse, les ongles malgré tout un peu blêmes.

Elle me dit qu’elle ne s’était pas toujours appelée Route Etroite. Avant, elle s’appelait Li Ke Ming, mais comme elle était malade, son père avait changé son nom pour lui porter chance. Elle en avait guéri. Le pouvoir des prénoms, tout de même ! Et quelle décontraction vis-à-vis du sien propre, dont on peut changer selon les vicissitudes de son existence.


A sept heures trente du matin, Route Etroite entrait dans ma chambre pour m’inviter à prendre un petit-déjeuner copieux, que je savourais à ma place, dévolue depuis toujours, entre la mère et la fille. Plus aucune gène n’intervenait entre nous, je les laissais me servir, manifestement la cuisine n’était pas un lieu où j’étais le bienvenu, il me suffisait d’accepter que des femmes travaillent pour moi. Lorsque je complimentais la mère, pour sa cuisine ou ses tricots, c’est la fille qui remerciait, et lorsque je disais à la fille qu’elle était jolie, elles souriaient toutes les deux.

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

G
<br /> Désolé, le commentaire ci-dessus est de moi, et non de Ben qui n'y est pour rien.<br /> <br /> <br />
Répondre
B
<br /> Il n'y a pas de quoi. Merci à vous de m'avoir lu.<br /> Je remarque aujourd'hui qu'à cette époque, en 2005, je ne répondais pas aux commentaires, ce qui est une forme d'orgueil déguisé en modestie.<br /> <br /> <br />
Répondre
L
Mreci de m'avoir fait rêver à travers ce portrait...
Répondre
J
Le portrait de cette charmante colocataire ainsi que l'acceuil que celle-ci t'as fait me laisse tout chose, reveur...<br /> C'est vraiment tres bien ecrit, et on en regrette meme a la fin de l'article qu'il soit si court :)<br /> <br /> Je viens tout juste de decouvrir ton blog, et je pense que je vais le suivre regulierement en quette de nouveaux articles.
Répondre