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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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12 avril 2006 3 12 /04 /avril /2006 05:43

J’aime porter les femmes sur mon vélo. Leur poids et leur façon d’être en équilibre disent des choses sur elles qu’on ne saurait pas autrement. Certaines filles assez menues se révèlent d'une lourdeur inattendue, ce sont alors mes jambes qui me préviennent : « Attention mon garçon, cette petite n’est peut-être pas aussi facile que tu te l’imagines. Quelque chose pèse en elle, peut-être son passé, peut-être sa conscience. »

D’autres femmes, comme Mademoiselle Fleuve, qui ressemble davantage à une Grâce de Rubens qu’à une enfant de Shanghai, sont très faciles à porter. Cela tient peut-être à l'harmonie de ses formes et aux proportions adéquates de ses facultés. Mademoiselle Fleuve, justement, me disait l’autre jour qu’en Chine, on dit que l’amour naît d’un trajet à bicyclette où la fille est portée par l’homme. C’est compréhensible. Elles évaluent la force du gars, ils évaluent la présence massive de la fille, et par là, c'est leur sens de l'équilibre qu'ils jaugent, une certaine tenue, une conduite et un maintien. Après quoi, ils laissent le Dao décider.

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11 avril 2006 2 11 /04 /avril /2006 11:58

Mon avenir proche risque encore d'être chamboulé, voilà ce que c'est d'être précaire. Je m'étais fait à l'idée de travailler ici encore un an et de partir en voyage une petite année entre 2007 et 2008. Et voilà que déboule à Nankin une jolie fille du consulat français pour me parler d'un poste de lecteur dans une université de Shanghai. Une offre qui ne se refuse pas, comme on dit dans les films de gangster, (une offre qui n'en est pas une, d'ailleurs, car rien n'est définitif) mais qui risque de repousser encore un peu le "voyage tranquille" que je comptais réaliser le plus tôt possible.

Alors pour tenter de voir au moins une fois les temples d'Angkor avant de mourir, j'ai décidé d'y aller dès ce mois d'avril. Je passerai deux petites semaines au Cambodge pour commencer un repérage. Je rêvasse, en effet, ces temps-ci, sur une réorientation géographique, direction l'Asie du sud-est.

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6 avril 2006 4 06 /04 /avril /2006 08:59

Une jeune femme me soumet un questionnaire qu’elle a conçu dans le but d’écrire un article de presse. La contestation y est vue, comme radicalement mauvaise, car mauvaise pour l'economie. A aucun moment je ne verrai dans ses paroles une volonte de comprendre ou de justifier la greve. Ce sont les consequences d'un regime communiste qui a trop bien vecu.
 Voici les questions, suivies de mes reponses :

 

« Pourquoi les Français considèrent-ils la grève comme le moyen principal de manifester leur mécontentement ? »

 

Je pensais que le vote était le moyen principal de s’exprimer, pour les Français. Qu’en est-il de vous ? En Chine, quel moyen avez-vous pour manifester votre mécontentement ?

 

« Que pensez-vous des effets négatifs de la grève ? »

 

Si la grève n’avait pas d’effets négatifs, elle n’aurait pas d'effet du tout.

 

« Pensez-vous qu’il y a des moyens plus raisonnables pour mieux résoudre les problèmes ? »

 

Des moyens « plus raisonnables » ? Comme un parti unique, par exemple, qui interdirait le droit de grève, qui appellerait l'armée quand des paysans se fâchent ? Laissez-moi réfléchir à tout cela.

 

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6 avril 2006 4 06 /04 /avril /2006 08:33

Une étudiante en première année de doctorat me parle de sa vie. Je lui demande : « Tu as commencé ta thèse ?

 

- Non, pas encore. On a trois ans pour faire sa thèse, ce n’est pas nécessaire de s’y mettre si tôt. La première année, on la passe à méditer. »

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5 avril 2006 3 05 /04 /avril /2006 00:00

J’ai été chargé, par la médiathèque de l’Alliance française, d’établir une liste de livres pour la commande de la section « pensée française ». Une centaine de titres que j’étais libre de choisir dans tous les domaines théoriques d’importance. Philosophie, sociologie, psychologie, politique, esthétique, linguistique, critique littéraire, épistémologie.

Ce fut une vraie fête intime. J’allongeais les jambes et je me disais : que serait ma bibliothèque idéale ? J’ai pris, bien sûr, les grandes stars, prisées à l’étranger, les Barthes, Lacan, Foucault, Deleuze, Derrida, etc. Et puis, j’ai fureté. Non je n’ai pas fureté, j’ai flotté. Je me suis laissé dériver vers d’autres auteurs, en imaginant un voyageur, venant à Nankin, dans vingt ans. Je l’imaginais lever les sourcils en voyant Benveniste et son Vocabulaire des institutions indo-européennes aux côtés de Tocqueville et de Jouvenel. Grozdanovitch à côté de Montaigne.

Depuis, des arrivages de livres remplissent la bibliothèque et offre aux voyageurs présents et futurs un espace de repos pour le corps et de récréation pour l’esprit. 

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4 avril 2006 2 04 /04 /avril /2006 11:13

Une étudiante voulait faire un mémoire sur Le Clézio. Un de ses professeurs lui a conseillé de porter plutôt son attention sur un lauréat du Prix Goncourt.

Les étudiants chercheurs, pour trouver leur chemin dans la production contemporaine, et pour se construire une culture solide, font la liste des vingt derniers Prix Goncourt, en lisent quelques uns, et pensent voir le paysage fidèle de la littérature française.  

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4 avril 2006 2 04 /04 /avril /2006 00:00

Au milieu de son travail calligraphique, Mademoiselle Fleuve s’aidait d’un dictionnaire pour retrouver un caractère non simplifié. Un mot simple comme « bienvenue », composé de deux caractères écrits dans tous les restaurants, peut se révéler d’une complexité d’écriture décourageante. Sans dictionnaire, un Chinois raisonnablement éduqué ne peut pas l’écrire sans faire de faute et du premier coup.

C’est le problème propre de la langue chinoise. Comme les jeunes gens écrivent sur des ordinateurs, ils ne tracent plus les caractères par eux-mêmes et tendent à les oublier. Pour écrire en chinois, il faut taper sur un clavier classique le phonème désiré, puis apparaissent les différents caractères qui répondent à ce phonème, par ordre d’importance. Par exemple, si vous tapez « wo », le premier caractère de la liste proposée sera celui qui signifie « je ». Il suffit alors de sélectionner le caractère voulu dans la liste, et de recommencer avec le prochain phonème. C’est un peu plus long qu’avec nos langues phonétiques, mais les Chinois savent aller très vite. C’est la méthode la plus pratique en attendant de trouver un système d’écriture numérique des caractères.

Mais la limite de ce système est dramatique : les jeunes Chinois savent lire et reconnaître les caractères ; ils ne savent plus comment les écrire. Une seule génération d’habitués de l’informatique a suffit pour faire oublier quelques centaines de caractères, combien seront perdus dans cinquante ans ? Et si les caractères ne s’écrivent plus, peut-on s’assurer qu’ils seront toujours lus ? Je ne serais pas étonné que dans quelques années, des jeunes Chinois décident d’en rester à l’écriture phonétique (le pinyin) et laissent tomber les caractères. (Remarquez bien que je ne serais pas étonné non plus que les Chinois ne laissent jamais tomber les caractères, car ils y sont attachés comme à leur patrie.)

 

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3 avril 2006 1 03 /04 /avril /2006 00:00

                                                               

Ce fut le tour de Serge. Après avoir longtemps tergiversé, maugréé, tracé des lettres dans le vide au-dessus du papier, il exécuta, sous la pression des filles qui lui intimaient l’ordre de se jeter à l’eau, quelques caractères qui signifient : « Examine-toi sans relâche ! »

C’était une forme d’autoportrait plutôt ressemblant, vu l’impitoyable sévérité avec laquelle il se considère généralement, mais c’était aussi un masque un peu complaisant, une pose qui lui permettait de ne rien produire tout en échappant à la honte. Plutôt que de se demander : « Suis-je vraiment un incapable ? », question que toute personne saine se pose régulièrement, il prenait le parti d’interpréter sa stérilité comme une volonté de pureté. Qui n’a déjà rencontré de ces lents travailleurs dont on dit qu’ils sont perfectionnistes alors qu’on pourrait tout aussi bien dire qu’ils sont fainéants ? Serge se drapait dans une toge de rigueur et clamait : « Ce n’est pas que je ne produis rien, je brûle tous mes écrits car je m’examine sans relâche ! Si ce n’est l’absolu, je ne tiens pas à encombrer le monde de mes productions. »

Il y avait là aussi, naturellement, indirectement, un message qui m’était adressé : « Toi qui éparpilles tes mots avec insouciance, toi qui ne crois ni au génie ni au talent, toi qui tolères tes propres récits et qui a l’orgueil de les trouver assez dignes pour être lus, méfie-toi, examine-toi sans relâche, tu verras les faiblesses intrinsèques de tes phrases. Préfère donc une phrase, une seule phrase réussie, plutôt que dix ouvrages médiocres. » Dans cette calligraphie, s’imposait comme une mauvaise conscience scrutatrice. Quand je la regarde, je crois y voir la moustache hérissée et le regard sombre de mon ami. Si cela peut m’aider à me relire une fois de plus...

Serge est mon alter ego, en Chine. J’ai le chic pour me trouver des alter ego de qualité supérieure. Car il y en a de bons et de mauvais. Un mauvais alter ego est plus près de l’ego que de l’alter, il vous ressemble, il vous comprend et vous dit ce que vous avez envie d’entendre. Le bon est un autre vous-même, il ne tolère pas vos faiblesses, il vous donne des coups de pieds au cul sans dire un mot. Il a à votre égard un peu de la sévérité qu’il s’applique à lui-même, mais moins inhumaine. Il est votre opposé, un miroir renversé, il est la droiture si vous êtes courbe, et la recherche d’absolu si vos recherches sont fragmentaires, incertaines et floues.

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2 avril 2006 7 02 /04 /avril /2006 00:00

Mademoiselle Fleuve ayant bien travaillé, il me fallait convaincre Serge et Léa de bien vouloir calligraphier. Ils protestèrent, par timidité, par modestie. Je devais user de stratagèmes tordus de persuasion. Ils me dirent : « Vas-y, toi, calligraphie donc ! Pourquoi le ferions-nous et pas toi ?

-Mais c’est mon anniversaire ! » dis-je en ouvrant les bras et en écarquillant les yeux.

Ce fut la formule magique. Léa se mit à table et se lança dans un autre poème de Li Bai.

Au fond, c’était une soirée en mon honneur, en l’honneur des filles calligraphes et en l’honneur de Li Bai, peut-on rêver meilleure combinaison ?

                                                                

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1 avril 2006 6 01 /04 /avril /2006 07:54

Mademoiselle Fleuve, à la longue bouche de Khmer et aux formes voluptueuses, m’avait promis de passer une soirée avec moi pour faire de la calligraphie. Quand je lui ai parlé du poème de Li Bai, Jing ye si, elle a éclaté de rire. Pour elle, ce n’est qu’un poème d’enfant, ce n’est pas le signe, chez celui qui le récite, d’un homme fin et cultivé.

Qu’à cela ne tienne, ce ne sont pas toujours les autochtones qui ont le meilleur point de vue sur leur culture, je maintins ma requête d’avoir ce beau poème calligraphié des mains de ma « belle employée ». (Je rêve souvent de voir Mademoiselle Fleuve nue, je l’imagine allongée sur le flanc, gironde comme une Vénus des grands Vénitiens. Ah ! Que ne suis-je photographe ou peintre, pour lui demander de poser devant moi.)

Cette soirée fut organisée lors d’un déjeuner au restaurant. Un soir de la fin mars, Serge et moi inviterions Mademoiselle Fleuve à manger, puis nous irions chez Serge et elle s’exécuterait. Elle trouva l’idée excellente. Le jour dit, je m’aperçus que c’était mon anniversaire. Mes amis pensèrent que j’avais joué le cachottier alors que j’avais réellement oublié l’événement : j’avais marqué ce jour comme un moment de la semaine coincé entre deux matinées de travail, et comme la date de célébration des mains talentueuses de Mademoiselle Fleuve.

                                       

La table recouverte d’un tissu épais, la feuille de papier posée, l’artiste s’entraîna en calligraphiant son nom, puis s’empara d’une feuille vierge. Elle se concentra peu et se lança dans un poème de Li Bai qu’elle affectionne et qu’elle me destinait. Elle fut imperturbable, ne levait la tête que pour trinquer avec nous et avaler cul sec des verres d’alcool blanc. Elle avait une belle descente, Mademoiselle Fleuve, et elle ne m’en plaisait que davantage. Le reste du temps, son visage inspirait un profond respect, il s’en dégageait une sérénité héritée de l’enfance et d’un père sévère qui la forçait à calligraphier des heures entières.

                                             

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