Les vestiges du Palais Impérial de la dynastie Ming se trouvent sur Zhongshan Donglu, à l’est de la ville, très près du Musée de Nankin. A l’entrée, il n’y a pas de caissier, mais un homme, peut-être un fonctionnaire, qui vous sourit et vous dit : « un yuan. » Rien ne prouve que le dit yuan n’ira pas directement dans sa poche. Je conseille au voyageur qui ressent le désir d’emmerder un peu son prochain d’exiger un reçu, cela devrait lui faire passer un agréable moment de conversation administrative.
En parlant de style administratif, voilà ce que donne à lire la plaque de bronze de l’entrée du parc :
« Le parc Wuchaomen est situé sur les ruines de l’ancien Palais Impérial de la dynastie Ming. Les ruines de l’ancien Palais Impérial de la dynastie Ming sont le site où le Palais Impérial de la dynastie Ming était situé. »
On se demande pourquoi ils se sont arrêtés là, ils pouvaient continuer, en droit, infiniment.
Des hommes font des mouvements lents dans le parc, ils donnent des coups de poing dans le vide. Un homme va si lentement qu’il atteint une quasi immobilité. Son visage et son corps sont reposés, légers, il vit, pendant quelques minutes, dans une jouissance muette, intérieure, impassible, de la seconde qui passe. Il fait durer les secondes, il les rend longues comme des notes de musique. Une femme prend des poses d’animaux ; je crois reconnaître une grue, pose que prendra l’homme-aux-secondes-allongées. La beauté de leurs corps entrent en contraste avec le rythme de chanson populaire qui sort d’une sono dissimulée.
C’est la musique d’un club de danse, au milieu du parc. Des couples d’âge moyen à moyen vieux tournoient dans le bonheur d’un soleil renaissant. L’air entraînant de la Lambada fait se lever d’anciens militaires qui se dandinent seuls, habités par un sens de la pulsation et de la saccade indiscutable. Un homme danse avec une femme qui pourrait être sa mère. C’est sa mère, Flore est formelle. Sur quoi établit-elle son jugement ? Je ne me lasse pas de regarder ces danseurs du mardi après midi. La Lambada fait place à une très jolie chanson chinoise. J’invite Flore à danser. « Je ne sais pas danser » dit-elle. Tu crois que je « sais » danser, moi ? Je veux seulement tournoyer avec toi. Oh, Flore, sois ma cavalière et dansons sur les ruines du vieux palais. Je la prends dans mes bras et place ses bras autour de mon cou. Elle se laisse faire, elle se laisse conduire mais elle n’est pas inactive. J’ai contre moi un corps vivant qui tournoie avec confiance. Nous opérons des rotations et des révolutions comme de lents derviches. Nous créons du vide en notre centre, et de la matière en notre périphérie.
Sous nos pas, la cour des premiers Ming effectuait ses danses cruelles.