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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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1 août 2005 1 01 /08 /août /2005 00:00

Un matin, à la gare de Lijiang, dans la province du Yunnan, je prévins Mimique que je devais aller aux toilettes. Il me dit de faire vite, car le car partirait d’un moment à l’autre. Je le lui promis tout en ajoutant que je devais me brosser les dents aussi.

« -Tu ne l’as pas fait à l’auberge ? dit-il

-Mais non, puisque nous avons pris le petit déjeuner à la gare. »

Mimique n’est pas seul dans ce cas. Je crois pouvoir affirmer que les Chinois, dans leur ensemble, se brossent les dents dès le lever, et en tout cas toujours avant de manger. Un autre compagnon de voyage, dans la province du Xinjiang, m’avait dit que ce n’était pas propre de manger la bouche pâteuse et nauséabonde. En revanche, c’est assez propre d’attendre le soir pour se brosser les dents à nouveau.

Je lance l’hypothèse que cela obéit à un souci d’ordre et d’harmonie, lié au jour, à la lune, au cycle du temps qui passe. Si une action se trouve être la dernière de la journée, (se brosser les dents avant de se coucher), elle se doit d’être la première aussi (dès le lever du soleil.) 

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29 juillet 2005 5 29 /07 /juillet /2005 00:00

A Chengdu, un site est à visiter, la chaumière de Du Fu. Ce dernier (712-770) est un poète de la dynastie des Tang, considéré par tout le monde comme l’un des plus grand de toute l’histoire. Sa vie fut assez tourmentée, il dut fuir, s’exiler, il connut des échecs à répétition dans sa vie professionnelle, il rata des examens officiels, il connut la guerre, un de ses fils mourut de faim. Or, pendant quatre ou cinq ans, il se réfugia à Chengdu et y trouva la paix. Il se construisit une cabane, près d’un plan d’eau, et écrivit des poèmes sur la nature qui l’environnait. L’automne suivant, le vent détruisit la cabane ; il écrivit alors (en substance, n’est-ce pas, je cite de mémoire) : Nom de Dieu, si le vent me fait ça à moi, combien de pauvres gens doivent endurer pires traitements et souffrir de faim et de froid ? Il reconstruisit la cabane, avec des copains, avec un toit de chaume. Des années après sa mort, un dignitaire chinois retourna sur le lieu et, pour célébrer la mémoire de Du Fu, construisit une nouvelle fois la chaumière, en respectant au plus près ce qui était décrit dans les poèmes. Et ainsi de suite, le site a été, de manière quasi ininterrompue depuis le huitième siècle, un lieu de mémoire et même de dévotion. Ce qu’il faut essayer d’imaginer, c’est que les touristes que vous croisez sur ce site connaissent tous les poèmes de Du Fu, ils en connaissent par cœur, quel que soit leur niveau d’éducation, car ils en entendent parler à l’école primaire, et ont dû apprendre des poèmes, comme un passage obligé.

J’en profite pour donner un conseil pour quiconque voudrait draguer une ou un Chinois. Il y en a certainement autour de vous, dans votre ville ou votre village. Vous l’approchez, lui parlez de la pluie et du beau temps et, lorsque vous sentez votre proie en confiance, vous lui sortez Du Fu (s’il y a incompréhension, prononcez Tou Pou en faisant descendre et monter votre voix, au hasard) et lui demandez de vous en réciter un. Il le fera, elle le fera, c’est certain, mais trop rapidement, comme quelque chose que l’on se récite à soi-même. Alors demandez-lui de répéter mais doucement, en respectant bien les tons. Vous vivrez alors une expérience esthétique sans précédent, de la bouche même de la personne de vos rêves, ce n’est déjà pas si mal. Vous vous sentirez chavirer dans la houle, vous vous direz que cette langue n’est pas humaine, qu’elle vient d’un autre monde. Dites-lui ce que vous ressentez, au plus près de la vérité, et je vous assure que vous marquerez des points dans le cœur de votre ami(e).

Je l’ai fait avec la plus belle femme du monde et cela m’a ouvert une porte totalement improbable.

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28 juillet 2005 4 28 /07 /juillet /2005 00:00

Le voyageur préfèrera voyager seul. A la rigueur avec un(e) ami(e). D'ailleurs beaucoup de couples qui voyagent transforment leur amour en amitié, ou rompent.  
A Chengdu, on voit beaucoup de couples qui se traînent et se prennent le bras. Ce n’est pas une bonne idée. Soit le couple est en bonne santé affective, et il passe son temps à se bécoter. L’amour le rend aveugle à la ville qu’il visite. Soit il bat de l’aile, et alors l’homme et la femme passent leur temps à se demander comment faire pour égayer l’atmosphère, se morfondent à l’idée que toute tentative venant de lui-même ou d’elle-même sera vouée à l’échec, et la mauvaise ambiance corrompt l’ensemble du voyage.

Surtout, le couple prive le voyageur des agréments propre aux voyages : les rêveries solitaires, les égarements, les rencontres furtives, les accouplements fortuits.

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27 juillet 2005 3 27 /07 /juillet /2005 00:00

Ce passage par des altitudes inhumaines a constitué, en quelque sorte, une préparation physique avant la reprise de la saison, comme les footballeurs qui font un stage à Tignes avant de redescendre à Lyon, ou ailleurs. Le bus, qui cahotait terriblement, n’évoluait lui aussi qu’à des hauteurs vertigineuses. Nous avons dépassé plusieurs fois les 6000 mètres d’altitude. Alors, dans ses conditions, mes vaisseaux sanguins étant mis à très rude épreuve, mon nez saigna abondamment. Dès la première heure de trajet, sur la ligne Daocheng-Kanding, après avoir fait des bonds de plus de cinquante centimètres de haut, je dus me fourrer des mouchoirs en papier dans la narine gauche, que je jetais par la fenêtre quand ils étaient imbibés de sang. Les Tibétains s’écartèrent, autour de moi, mi par respect, mi par dégoût.

A la pause déjeuner, je consultai une pharmacienne, dans un village à flanc de montagne d’une beauté à couper le souffle. La dame me fit pas mal attendre, elle téléphonait, parlait avec les passants, j’avais peur de voir le bus partir sans moi, ce qu’il avait déjà fait à une pause précédente pendant laquelle j’étais allé me rincer dans une rivière. Finalement, elle me tapissa la cavité nasale d’une pommade odorante qui brûlait les vaisseaux, et qui me permit de rentrer avec dignité dans le bus, sans effrayer les jeune filles.

Le soir, à Kanding, le sang coula encore. Je partis à « l’hôpital du peuple », où le docteur me fit une belle impression. Un petit homme jovial qui sortait lentement ses instruments, dont une pince passablement rouillée. A l’aide d’un miroir frontal, il regarda la cavité et y enfonça un matelas de mousse imbibé de je ne sais quel produit. Il me raccompagna à l’accueil pour acheter les médicaments et pour m’expliquer la posologie. Comme je n’étais toujours pas certain de comprendre, nous en vînmes, devant les infirmières souriantes, à faire des dessins sur l’ordonnance. Puis il me souhaita bon vent en me disant que la Chine et la France étaient des pays amis, et partit draguer les filles de l’accueil. On ne dira jamais assez combien Chirac nous rend populaire dans ce pays. Je ne voudrai pas être malade quand un Sarkozy sera Président, qui, pour se rapprocher des Etats-Unis, prendra ses distances avec la Chine, tant il est vrai que les Chinois identifient les ressortissants d’un pays avec son dirigeant.

Le lendemain, à Chengdu, capitale de la province du Sichuan, je me laissai tenter par une spécialité locale. Or, le Sichuan est connu dans la Chine entière pour sa cuisine épicée. Après une ou deux bouchées, mon nez et mes yeux ouvrèrent les vannes. Je ne m’arrêtai pas de manger pour autant, mais je retournai vers le stand pour commander une spécialité à la pastèque. Difficile de parler chinois quand sa bouche est inondée de larmes et de morve. Je demande au vendeur je veux ce truc à la pastèque avec de la glace. Le vendeur regarde son assistante, ils se marrent, ils me regardent. Ce truc, là, c’est ce que je veux. Ils se marrent. Alors un rire nerveux me prend et sous la secousse, le sang se remet à couler. Ils ne rient plus, ils contractent leur visage dans une grimace gênée, et moi de rire de plus belle. Le vendeur pointe une autre spécialité. Non, vénérable vendeur, écoute-moi bien, pour l’amour du ciel, ce truc glacé à la pastèque, à la pastèque, nom de Dieu. Ah, dit-il, je crois qu’il veut le truc à la pastèque, l’étranger.

C’est la dernière fois que j’ai vu mon sang, lors de ce voyage.  

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27 juillet 2005 3 27 /07 /juillet /2005 00:00

Le trajet en bus de Daocheng à Chengdu est une des plus belles choses que l’on puisse faire en bus. Les paysages sont si variés que chaque fois qu’on se réveille on se croit dans un pays différent. Pourtant, les brinquebalements dus au mauvais état de la route interdisent de dormir plus d’une demi-heure d’affilée. Des steppes parsemées de gros rochers magmatiques comme en Aubrac, mais un Aubrac sorti d’un rêve d’explorateur. Des vallées profondes, si profondes qu’en se penchant par la fenêtre on ne voit pas le fond. Des yacks qui pâturent, des tentes de bergers et, quand on s’éloigne à pied de quelques heures, des maisons en pierre regroupées en hameaux, baignés dans la fumée odorante d’un feu de bois incessant. A d'autres endroits, les imposantes maisons tibétaines, majestueuses, lourdes, parfois décorées autour des fenêtres, souvent fraîchement rénovées, cubiques mais rêveuses. Les maisons tibétaines sont un vrai charme dans le paysage. On se demande qui les habite, ce doit être des notables locaux.

                                                       

Plus on se rapproche de Chengdu, plus la végétation verdoie et se multiplie. Avec la grisaille qui réapparaît, (on descend jusqu’à 500 mètres d’altitude) on se retrouve en territoire tropical. Le voyageur se dit que l’humanité, ici, n’a pu faire autrement que de développer une solide mélancolie, insinuante comme les racines du banian, tenace comme la mousse verte, verte, une mélancolie verte. 

                                                       

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27 juillet 2005 3 27 /07 /juillet /2005 00:00

Il était temps que je parte de l’auberge de Zhongdian. De retour d’une promenade à vélo vers les sources chaudes des montagnes environnantes, je vis l’auberge pleine d’étrangers, des blancs de toutes sortes. Comme ce lieu n’est répertorié que dans le Guide du routard, ils etaient tous français. Sous l’affluence, les Tibétaines n’avaient plus d’espace pour leur ballet quotidien, pour leurs chants. Elles avaient trop de travail et l’endroit perdit beaucoup de son aura.

 

 

 

A table, je me retrouvai en compagnie de sept compatriotes, qui étaient tous partis en couple ou seuls, mais qui s’étaient rencontrés sur le chemin, faisaient tous le même itinéraire, enfilant les villes en remontant le Yunnan, (Kunming, Dali, Lijiang, Zhongdian et retour à Kunming) dormaient tous dans les mêmes endroits recommandés par les mêmes guides touristiques, et surtout, restaient tous le même nombre de jours dans chaque endroits, si bien que sans l’avoir voulu, ils évoluaient dans une atmosphère de voyage organisé. Le repas me fit penser au roman Plateforme de Houellebecq. Les uns très discrets (peut-être gênés de m’avoir à leur table), d’autres gentiment rigolos, un couple mignon qui n’avait d’opinion sur rien et un couple d’âge moyen qui rongeait son frein. L’homme d’âge moyen commença à me faire part de sa déception concernant le Yunnan, comme quoi c’était trop touristique, mais sa femme, en une réplique cinglante et rapide comme une lame de rasoir, lui ferma son caquet. Une ambiance étrange régnait. Moi qui venait de passer cinq jours dans ces lieux, je me croyais autorisé à leur donner quelques informations sur les gens qui travaillaient là, les aider à distinguer entre Chinois et Tibétains, entre anglophones et non anglophones, mais je ne recueillis qu’une indifférence presque outrée. Je les dérangeais, manifestement, qu’est-ce que cela pouvait bien faire, franchement, qu’une telle ou une telle soit de telle minorité ethnique et qu’elle possède une belle voix. Quand je me permis de leur donner quelques bons plans sur les choses à visiter, à pied ou à vélo, j’eus vraiment l’impression d’une hostilité partagee. Enfin, dès que j’abordai le sujet de la danse vespérale, sur la place du village, la dame du couple d’âge moyen explosa. « Ah ! oui, parlons-en, mais c’est une honte ! » Pourquoi était-ce une honte ? « Voyons ! La Chine est détruite à coup de bulldozer et de disneyland ! » Indéniablement, elle en avait gros sur la patate, et je compris maintenant les silences et les chuchotements du début du repas. Ils visaient à éviter les bouillonnements de madame. Elle protestait que ces danses n’étaient faites que pour les touristes. C’est vrai, dis-je, mais pas pour les occidentaux. «  Non ! Les touristes chinois. C’est les pires ! » Ils critiquèrent le fait qu’on avait déguisé les femmes locales, qu’on avait perdu, finalement, toute authenticité. Je défendis une thèse adverse, disant qu’ici, à Zhongdian, jeunes et vieux s’amusaient vraiment, en dansant, et que les déguisements n’étaient que leurs habits de tous les jours, les mêmes que ceux qu’on observe en pleine campagne. Le jeune homme le plus discret de la table, celui qui n’adressait la parole à ses convives qu’en chuchotant, me regardait en secouant la tête avec de gros yeux qui signifiaient oui oui, non mais moi je ne dis pas le contraire. L’ambiance, en définitive, s’était alourdie, et je pris congé.

 

 

 

Je partis voir une dernière fois la danse. L’adolescente y était adorable, prévisible. Chaque fois qu’elle m’apparaissait, je l’imaginais avec le visage de Tao Xiao, une étudiante de Nankin. La même chevelure, la même mèche, le même genre de corps fragile, la même manière de se tenir courbée en avant. Deux ou trois Français prirent part à la danse. L’un d’eux était très grand, me faisait penser à Pierre Mazet, un copain de fac, et faisait rire tout le monde parce qu’il était grand et qu’il souriait constamment.

 

 

 

Quand je suis revenu à l’auberge, mes Français étaient attablés au bar, en un cercle hermétique, ils se réchauffaient autour d’une bière et rigolaient bien. Ils n’avaient pas mis le pied hors de l’auberge. Ils étaient échaudés, ils avaient déjà rencontré trop de désillusions sur le chemin de la rencontre des peuplades inconnues. Les tours opérateurs, les compagnies aériennes, les guides touristiques, les congés payés et les RTT, tout s’était ligué pour détruire leurs rêves d’aventures, pour ne leur permettre que des vacances tièdes, des visions médiocres, pour les réduire à l’état de touristes consommateurs. Il ne leur restait plus que la boisson et les blagues entre compatriotes pour oublier, avant la date très proche du retour à la maison.

 

 

 

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23 juillet 2005 6 23 /07 /juillet /2005 00:00

Une étrange mélancolie se dégage du visage et des manières de la femme du patron de l'auberge de Zhongdian. Elle promène sa silhouette garçonne en réprimant toute sensualité féminine. Une droiture dans le maintien qui s'apparente à de la raideur, comme si elle se sentait observée à chaque instant. Elle passe, le long des murs, comme un fantôme. Elle est pourtant bien de sa personne. Elle vient d'une province assez riche, a fait des etudes a Pekin et y a travaillé. Elle est restée quinze ans a Pekin, avant de voyager dans le monde. Elle a passé un an en Angleterre et maintenant, la voila au fin fond du Yunnan. Elle ne s'y plaît pas tant que cela. C'est le genre de personne qui ne se plaît pas beaucoup à l'endroit ou elle se trouve.

C'est en parlant avec elle que j'ai decidé de la suite de mon intineraire. Mimique voulait revenir des montagnes de l'ouest, puis retourner dans la direction de Lijiang pour visiter les "Gorges du Tigre bondissant". Moi, je preferais continuer le voyage dans la direction de Chengdu, au nord, puisque c'est là que je prendrais l'avion pour Nanjing. Cela signifiait plusieurs jours de bus et un arrêt dans un lieu de montagnes enneigées, à Yading. D'ailleurs, la patronne, quand je lui demande son avis, préfère Yading aux "Gorges du tigre bondissant".

L'idée de partir seul ne me deplaît pas, car je ne voudrais pas être un poids pour Mimique. Souvent, les Chinois n'imaginent pas que vous puissiez vous débrouiller seul, si vous ne parlez pas bien chinois. La patronne elle-meme m'a dit d'attendre Mimique, qu'il parlait chinois et que ce serait plus facile. Rien de tel pour me convaincre de partir seul. 

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23 juillet 2005 6 23 /07 /juillet /2005 00:00

Tous les soirs, dans la vieille ville de Zhongdian, une danse tibétaine est organisée sur la Place centrale. Le premier à m'en avoir parlé est JB, un étudiant en ethnologie qui passe ses vacances ici.
Il a observé cette danse sous l'angle ethnologique, disant qu'elle n'était pas authentique, "c'est ça qui est intéressant", disait-il, l'oeil brillant. 
Ces danses sont bien traditionnelles, mais normalement (!) elles ne se font pas en public, sauf événements particuliers (mariage, naissance...) Le reste du temps, les Tibétains dansent chez eux, comme une forme d'exercice physique.
JB pense que les gens du village sont "encouragés" à le faire par on ne sait trop qui. Une sorte de Conseil municipal, n'en doutons pas. Il m'apprend que ces soirées dansantes sont toutes nouvelles,  qu'elles datent du mois de juillet 2005. Avant, c'est simple, la place etait en travaux, et avant les travaux, rien de tout cela n'était organisé, la ville n'etait pas encore vraiment touristique.


Je dis "la ville", par habitude, mais c'est un village, ou plutôt un bourg, avec une partie chinoise, commerciale, où l'on arrive en bus, avec la gare des bus et quelques hôtels, et une partie tibétaine que j'ai nommé plus haut "la vieille ville".

La musique est diffusée par un haut-parleur, et les gens dansent avec beaucoup de plaisir. D'autres gens regardent, avec plaisir aussi. Des vieux en chapeau, des vieilles en habit traditionnel, et des jeunes, les collégiennes que j'avais vues au temple, la veille, se mélangent avec facilité.
Au centre, un vieil homme ivre mime les pas de danse, les exagère, mi-moqueur, mi-donneur de rythme. Autour de lui, des gamins se chamaillent. Tout cela me paraît franchement gai et nullement forcé par les autorités. C'est plus proche d'une fête de village organisée par un comité des fêtes de la mairie et très appréciée par les locaux.
Les touristes chinois se régalent, ils se joignent au cercle et prennent des photos.

Au bout d'une heure cependant, la musique vous met dans un état d'hébétude, voire d'idiotie, qui n'est pas sans rappeler les états fièvreux dont j'ai deja parlé. Une transe, peut-être, qui est soulignée par l'accumulation des danseurs. La soirée commence avec un cercle, deux heures plus tard, ce ne sont même plus quelques cercles concentriques, mais une marée humaine qui tourne en rond.

Un vieux, arborant un chapeau panama, danse avec beaucoup de dignité. JB dit qu'il est là tous les soirs. Il est en effet présent dès les premières notes, et ne se départit jamais de sa dignité. On le croirait au temple.

Une adolescente aux cheveux longs, portant une paire de jeans pates d'eph., apporte une grâce extrême a cette ronde. Chaque geste est pesé et elle y met toute l'application et toute la sensualité que son jeune âge possède. Quand elle se baisse, elle fait penser à un héron, ou à un flamand rose. Elle transforme des pas un peu grossiers, que les vieux font pour se dérouiller, en jolis mouvements aériens. Très vite, elle m'obnubile, je ne vois qu'elle dans la foule. Elle est en représentation, comme en boîte de nuit. Je regrette de ne pas être moi-même ethnologue : j'irais l'interviewer aussi sec. Que peut bien se passer dans la tête d'une adolescente tibétaine qui danse devant ses parents, ses copains et des inconnus ? Quel genre de plaisir est-ce ?

J'irais interviewer le vieux au panama, aussi, ainsi que quelques dames en habit traditionnel. Ah! j'en ferais des choses, si j'étais ethnologue. Je passerais mon temps à parler avec les gens, à manger avec eux et à les regarder danser.

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23 juillet 2005 6 23 /07 /juillet /2005 00:00

Je distingue maintenant les voix des Tibétaines qui travaillent à l'auberge. Quand elles chantent, je sais laquelle chante quoi. Il y en a une troisième, d'ailleurs, mais qui n'est pas tibétaine, qui siffle souvent La vie en rose, et qui la chante en faisant la la la. Je suis sûr qu'elle sait que c'est francais, et elle le fait pour faire plaisir aux deux Francais du lieu, l'étudiant en ethnologie et moi. Mais je peux me tromper.

Quand elles se parlent, elles parlent en tibetain. C'est une langue tres agréable à l'oreille, qui fait penser lointainement au turc. Là aussi, je dis peut-être une énormité.

Je ne rate jamais une occasion de discuter avec la plus jeune des Tibétaines, dont les manières et la voix m'émerveillent. Elle me demande : c'est loin  la France ? Oui, c'est très loin. C'est plus loin que Pékin ? Oui, c'est encore plus loin. Il n'y a pas de mot pour décrire le regard, silencieux, avec lequel elle m'a regardé.

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23 juillet 2005 6 23 /07 /juillet /2005 00:00

De Zhongdian a Chengdu, la route se fait en car, en trois jours minimum, en faisant etape a Daocheng et Kanding. Beaucoup d'etrangers s'arretent a Litang, le village le plus haut de Chine, a plus de 6000 metres d'altitude. Moi, j'ai prefere alle me promener dans la reserve naturelle de Yadin. On y accede depuis Daocheng, (apres avoir dormi a Daocheng, car le premier jour de car a dure 16 heures), avec un mini bus prive qu'on loue a plusieurs voyageurs.

La-haut, je me suis apercu que j'etais en territoire bouddhiste. Trois montagnes sacrees dont les Tibetains font le tour pour un pelerinage ascetique. J'etais en compagnie d'un couple de Hollandais et de deux Shanghaiennes qui n'avaient jamais marche en montagne et jamais dormi en pleine campagne, sans toilettes ni douches. Leurs chaussures de randonnee etaient neuves. Presque tous les Chinois vus ici sont dans le meme cas. Leur inexperience se lit sur leur accoutrement. Ils portent beaucoup trop de sacs, certains apportent meme leur autocuiseur pour se faire du riz. Tous leurs vetements respirent le magasin "outdoor", un bon nombre d'entre eux portent des bottes en plastique brillant, celles que nous portions, enfants, quand nous jouions dans le sable, les jours de pluie. Les Tibetains locaux profitent de ce nouveau tourisme pour proposer des chevaux. C'est un succes, assurement. Les femmes qui sont venues en chaussures a talons n'ont pas d'autres choix, et d'ailleurs n'etaient certainement pas venues dans l'idee de marcher. Bref, la randonnee en montagne est, dans ce pays, un concept tres nouveau.

Le premier jour, on marche jusqu'a un campement, a plus de 4000 metres d'altitude. Le lendemain, les Chinois prennent des photos et font je ne sais quoi. Moi, je pars a l'aube pour faire le tour des montagnes sacrees et rejoindre Yadin, puis, le soir, Daocheng. Journee eprouvante, onze heures de marche sans pause dejeuner, plusieurs cols a plus de 5000 metres d'altitude, le souffle court, la tete oppressee, le nez qui saigne finalement. Aucun Chinois ne se sera aventure sur ce chemin, seulement des familles de Tibetains qui, tous, des plus jeunes aux plus vieux, me depassaient allegrement, m'offraient  du tabac a priser dans les moments vraiment durs, otaient leurs chaussures pour marcher sur les cailloux, accrochaient leurs prieres en tissu dans les endroits  voulus.

Un vieux moine, en particulier, m'attendait quand il se reposait et m'enjoignait de m'asseoir. Il souriait. Il souffrait, lui aussi, mais il repartait et me mettait toujours cinquante metres dans la vue. (je dois dire a ma decharge que j'etais la seule personne chargee d'un sac a dos, lui-meme charge de toutes mes affaires d'un mois de voyage.) Souvent, des pierres etaient posees en tas, les pelerins en posaient une en passant, ou en deplacait une, frequemment. Parfois, ils en posaient, en equilibre, sur des arbres ou des rochers. La montagne est ainsi constellee de constructions en pierre,  des pierres relevees, des pierres en faisceaux, c'est tres mysterieux, comme s'il ne fallait pas laisser la nature a elle-meme. Des specialistes du bouddhisme tibetain doivent savoir de quoi il retourne. A un certain sommet, des chapeaux etaient poses par terre, puis de plus en plus de chapeaux, des casquettes, des bandeaux. Apres un certain sommet, plus personne n'a de couvre-chef, sauf moi qui me demandais si j'arriverais un jour a destination.

A la derniere descente, longue de plusieurs heures, je me suis assis, sous la pluie, comme un bonze, une boule de mouchoir dans le nez. C'est la que je me suis fait rejoindre par mes amis bataves qui etaient partis une heure et demi apres moi. Leurs affaires portees par un cheval conduit par une superbe Tibetaine, il m'avait rattrappe en ne faisant aucune pose non plus. Ils vomirent en silence, c'etait tres chouette. Ils ont decide de rester une nuit de plus, alors que je devais rentrer au plus vite. Je trouvai une voiture qui voulut bien me ramener a Daocheng, en fin d'apres-midi. Une famille charmante de Chongqin, qui me vit seul sur la route. Ces gens m'ont fait penser qu'en Chine, un aventurier pourrait facilement faire du stop pendant des mois sans aucun probleme.

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