Retourné au lac des nuages pourpres. Après mûr examen, j’élis ce lieu comme mon préféré de Nankin. Où que j’aille, ce lac me manquera, comme me manquent toujours un endroit pour me baigner, quand je suis dans une ville. A Lyon, je nageais dans le Rhône, croyez-le ou non. A Dublin, je me baignais dans la mer, à Seapoint, à Forty foot ou vers les falaises de Howth (où je garde des souvenirs hallucinés, amoureux et littéraires – les joyciens comprendront.)
Où trouverai-je à tremper mes os dans la mégalopole shanghaïenne ?
J’ai lancé d’ailleurs un concours de dessins sur le lac. Un concours sans gagnant et sans rien à gagner. Dans un carnet à dessins, je croque quelques vues, j’y mets des couleurs. Les photos et les films ne me suffisent plus.
Et, comme je l’ai déjà fait dans mes autres carnets, lors d’autres voyages, je demande à mon entourage de participer à mon souvenir en y traçant leur propre vision du lac.
Les uns et les autres se lancent courageusement et écrivent quelques mots dans leur langue maternelle. J’ai du français, de l’arabe et du chinois.
Hier, Lumière de l’Aube a bien voulu s’y coller. Sans fausse modestie, il avait annoncé que son dessin serait le plus beau de tout le carnet. Il avait appris le dessin dans une école, lorsqu’il était petit, et il a gardé de beaux restes. Sans surprise, son œuvre est très maîtrisée, techniquement irréprochable et totalement dénuée d’esprit chinois. Pendant que je nageais, il est resté une heure, concentré sur mon carnet. D’abord, il ne faisait rien, « je cherche une brèche », disait-il. Puis il s’y est mis, en soignant particulièrement le pavillon au bord de l’eau.
D’autres ont promis de s’exécuter, Sigismond en tête – qui s’était déjà distingué avec un dessin rigoureusement ressemblant sur la Muraille de Chine – mais je ne sais pas s’ils auront le temps, avant mon départ pour la France.