Au sortir du salon de massage, Juliette, JB et moi avons continué notre promenade dans les ruelles obscures du quartier "républicain" de Nankin.
Nous avions prévu de passer voir un acupuncteur qui pratiquait aussi le massage des pieds, dans une rue bien plus passante que celle où nous nous étions enfoncés. Une rue pour flâner et pour consommer. Une rue où les fruits et les enfants en pyjamas s'étalent sur le trottoir. L'acupuncteur était d'accord pour qu'on prenne des photos de son activité pour les archives de JB, et qu'on prenne du son pour mon documentaire radiophonique.
Juliette, notre interprète, était d'accord pour se laisser piquer, afin que JB voie comment son confrère chinois s'y prenait. Moi aussi, je voulais bien qu'on me pique. Juliette et moi fûmes donc allongés côte à côte, chacun sur son lit d'hôpital, ou sa table de masseur. Un peu nerveuse, Juliette s'agitait un peu à chaque piqûre. Moi je trouvais cela un peu désagréable, mais j'étais consolé par la contemplation du joli visage de mon ancienne étudiante, qui traduisait en même temps qu'elle suivait pour la première fois une séance d'acupuncture. Une fois les aiguilles plantées, nous devions attendre vingt minutes, immobiles. Le système nerveux bloqué par la dizaine d'aiguilles qui faisaient frissonner mes méridiens.
Chemin faisant, le praticien nankinois offrit à JB de lui montrer l'art des ventouses.
On me demanda si je voulais bien servir à nouveau de cobaye ; mais comment donc.
On m'enleva les aiguilles et on commença à chauffer les ventouses pour mes les poser sur le dos. JB passa mon micro enregistreur à Juliette, et se saisit de son appareil photo.
Cette séance fut pour moi une belle expérience. J'avais le casque de reporter sur les oreilles, et j'entendais la voix de Juliette commenter ce qui se passait sur mon dos. J'étais envoûté par sa voix, qui semblait produire une émission de radio pour moi seul, à propos de moi seul. Elle usait d'un vocabulaire précis et varié qui impressionna d'ailleurs JB.
Il lui dit : "Je ne sais pas qui fut votre professeur de français, mais c'était un bon."
Il faudrait profiter, à volonté, de reporters délicieux qui vous racontent ce qui se passe dans votre dos.
Résultat des opérations : j'ai bénéficié de trois soins de médecine traditionnelle en une seule soirée, et aucun de mes maux n'a disparu. Mon dos, en revanche, s'est trouvé couvert de cinquante traces circulaires, rougeâtres et bordeaux. (Parfait pour draguer à la piscine, à la condition expresse de draguer une femmes chinoise qui, en plus d'être habituée aux corps ventousés, ne soit pas rebutée par les poils du mâle occidental.)
En même temps, c'est toujours ainsi avec les médecines non conventionnelles, traditionnelles ou alternatives : on ne parle d'elles que lorsqu' "elles marchent". Quand, comme dans la plupart des cas, elles n'ont aucun effet probant, on s'empresse d'oublier lesdites séances inutiles, et l'on garde intacte notre foi en elles. Moi, en tout cas, heureux cobaye, j'en ai gardé le souvenir vivace sur toute la surface de mon dos.