Depuis le Peak Victoria, j’ai voulu descendre à pied au centre ville. J’essayais tous les chemins et aucun ne me conduisit où je voulais. Sur la route qui descendait, les voitures de luxe ne m’évitaient qu’avec peine ; des chemins partaient dans les bois, je les prenais et j’étais au milieu d’une verdure sauvage. Une clôture me barrait le chemin ; invariablement, les chemins m’interdisaient l’accès aux demeures immenses qui habillent la montagne. Une fois, une porte grillagée me séparaient de deux nourrices philippines qui surveillaient quelques enfants américains et chinois. Une autre fois, je pouvais voir une piscine, un salon, une salle à manger. Un piano à queue. On dit des gens qui vivent là qu’ils ont une vie de rêve. De petits égarements qui me ramenaient au sommet.
Un chemin, appelé le Hong Kong Trail, faisait le tour de la montagne. Je marchais beaucoup en dépit d’une douleur au pied droit, à l’endroit que les masseuses désignent comme le point du sommeil. Les vues dégagées sur la mer, sur les tours, sur les bateaux, sur le réservoir au sud de la ville étaient impressionnantes, mais moins impressionnantes que les arbres qui longeaient le chemin. Ils étaient variés, chatoyants, ils donnaient envie d’étudier la botanique. Je fus stupéfait, littéralement, par un gros caoutchouc d’Inde. A première vue, je croyais qu’il s’agissait d’un banian, à cause des racines aériennes, mais un panneau explicatif rectifia mon erreur. Des branches poussent, et sur les branches, d’autres branches prennent naissance et poussent, ou tombent jusqu’au sol, dans lequel elles s’enfoncent pour sucer la sève et devenir racines. C’est dégoûtant ; de partout, des branches racines dégoulinent, se lovent, s’entortillent avec viscosité. Si l’on coupe une de ces racines aériennes, un liquide blanc et collant en sort, c’est la matière première du caoutchouc. Cela offre un spectacle puissant, effrayant ; on sent un être qui pousse de toute part, qui aspire et déglutit la vie tout autour de lui, qui grossit sans ordre, en violant les lois de la botanique. La vision est oppressante après quelques minutes. Une forêt de caoutchoucs d’Inde serait l’équivalent naturel d’un film d’horreur fantastique. Les branches coupées au-dessus du chemin laissent pendre des filaments de glue séchée, donnant l’image étrange d’une pluie tropicale immobile.
Je repris ma route pour tenter une dernière fois de descendre à pied du Peak. J’échouai à nouveau. J’achetai des provisions et mangeais, et buvais, en regardant la nuit tomber et les lumières des tours s’allumer.