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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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9 février 2006 4 09 /02 /février /2006 11:05

Il faudrait réaliser une étude psycho biologique des voyageurs posant le pied sur un nouveau territoire, pour comprendre ce qui fait que, contre toute attente et pour aucune raison, ils s’y sentent soudainement bien. Je n’avais nulle part où dormir, à Macao, nul projet défini, la ville aurait pu me rejeter sans peine comme une poussière hétérogène, un corps étranger. Or, dès la sortie du ferry, mes pas me conduisirent vers le bon bus, instinctivement, vers la bonne personne qui me dit combien me coûterait le trajet vers le centre. Je fis les choses sans y penser, par réflexe, je descendis quand j’en sentis le moment opportun, je marchais dans les ruelles pleines de charme autour de la Rua da Felicidade, je ne pensais à rien et je me sentais à ma place. Il est des villes avec lesquelles on se plaît sans pouvoir expliquer pourquoi, de la même manière que des gens, dès le premier contact, dégagent de l’amitié à votre égard, ou des femmes qui vous sont proches sans avoir ouvert la bouche. Dans la Rua da Felicidade, je tombais sur une devanture d’hôtel qui m’intéressa en partie pour l’absence du mot « hôtel » sur la façade. Des rudiments de chinois et une vague intuition des langues latines m’ont fait deviner que cela pouvait être mon prochain logement. Je m’étais fixé une limite financière, concernant la chambre. Au-dessus de cinquante euros la nuit, je rentrais à Hong Kong ou je dormais dehors. Ici, c’était huit euros, pour un bel espace sans fenêtre, aux murs plaqués de bois vert sombre, un lit double, un banc en bois, une commode inutilisable pour des hommes d’un mètre quatre-vingt, un lavabo assez propre et un pot de chambre ! Un pot de chambre, aux bords évasés, comme dans les films. Les murs ne montaient pas jusqu’au plafond, afin que les voyageurs se sachent appartenir à une communauté, dans la chaleur de la nuit. Les douches et les toilettes étaient communes, comme il est convenable qu’elles le soient.

Là encore, si j’étais psychologue évolutionniste, j’entreprendrais une étude bio chimique sur l’état émotionnel des voyageurs qui entrent dans leur nouvelle chambre d’hôtel. Quelle hormone produisent ils qui provoque en eux ce haut-le-cœur de joie ? Je posai mes affaires, je voulais tout étreindre, cet espace était le mien pour quelques heures, pour une nuit entière, pour deux nuits, une éternité, je l’avait payé, j’étais sauvé et libre de faire l’imbécile. Une joie enfantine irradiait mes membres d’une sorte de dopamine qui, si j’en crois les théoriciens anglo-saxon du néo-darwinisme, doit être connecté à un vieux sentiment, très vieux, remontant à une lointaine époque de l’évolution de l’espèce. Si je menais une expérience sur ce thème, je partirais de l’hypothèse que le voyageur ressent une joie proche de celle de l’homo erectus lorsqu’il a trouvé une grotte, au soir d’une journée de chasse dans la forêt, un sentiment de délivrance et d’excitation dû au fait d’avoir sécurisé une couche où il va traîner une femelle. Ah ! Mais cela ne signifie pas que chaque chambre d’hôtel fait resurgir le fantasme d’une rencontre sexuelle ; non, la dopamine, si c’est de cela qu’il s’agit, peut être aussi provoquée par la perspective d’un bon repas et d’une soirée de lecture, tout seul, dans la plénitude infinie de son hôtel borgne.

Je suis retourné dans les rues de Macao, le Largo do Senado, les façades portugaises, l’église baroque de São Domingo aux balcons latéraux, aux fenêtres garnies de persiennes d’où l’on croit voir apparaître des femmes du dix-huitième siècle, la peau luisante de sueur. Une église telle qu’on n’en voit pas même en France ni en Italie. Peut-être qu’elle n’est pas portugaise non plus, mais simplement adaptée au climat tropical, haute, lumineuse, plus proche du bambou et de l’éventail que de la pierre et de l’encensoir.

                   

Il faisait encore assez bon pour flâner dans les rues en pente, Rua do Monte, Rua São Domingo, Rua da Palha. Les filles étaient sensuelles. Difficile de faire le partage entre leur latinité et leur appartenance au type chinois. Leur jeans moulants, leurs bottes pointues à talon leur donnent une démarche fauve, lente et provocante. Elles regardent le voyageur avec des airs de défi innocent. Je marchais, je montais une côte, entre étourdissement et enchantement, jusqu’à la vision imposante, dramatique, d’une grande façade baroque qui se détachait violemment du ciel. La lumière rasante de fin d’après midi lui donnait encore plus de grandeur et plus de chaleur. C’était les ruines de l’église São Paolo. Une façade, seule, à partir de quoi il faut imaginer une église grandiose. Sa présence sur fonds de ciel, la lumière du jour qui la transperce, rendaient le spectacle puissant et poignant. Je m’assis, dessinais l’ensemble de la façade, puis des détails de pierre sculptée émouvants, ou amusants : une Vierge Marie surmontant un dragon à six ou sept têtes, un bateau portugais, un cadavre. Des Chinois regardaient par-dessus mon épaule et ne faisaient pas de commentaire.

                                  

La nuit tombait, ma douleur au pied avait presque disparue. Mon corps, toujours guidé par les vieux atavismes de mes ancêtres Cromagnon, obéit à un réflexe de camouflage et de recroquevillement. Je rentrai à l’hôtel San va Hospedaria par le chemin des écolier.

 

 

 

 

 

 

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commentaires

G
Tres drole, ce commentaire, bravo Monsieur F. Moi je dis "comme dans les films" parce que je n'en avais jamais vu dans la vraie vie, des pots de chambre aux bords evases (et non ebreches), alors ca ne pouvait venir que de films ou de peintures. Mais si j'avais dit peinture, de spirituels commentateurs ne m'auraient-ils pas demande quels peintres ? J'aurais dit Toulouse Lautrec, Seurat ou Bonnard, on m'aurait dit pis que pendre, etc. Alors j'ai dit comme dans les films. En y reflechissant , je suis persuade qu'on peut trouver des pots de chambre aux bords evases dans des films de Hou Hsiao Hsien et dans des western americains.
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G
Je veux voir la photo du "pot-de-chambre aux bords-ebréchés -comme-dans-les-films !" D'ailleurs a quels films fais-tu allusion , j'ai beau cherché , je ne vois pas : "Indiana Jones a la recherche de la cabane au fond du jardin ? " , "Allan Quatremain contre les mouches à miel ?" , "A  la poursuite du papier vert lotus senteur lavande ?" ,   lache des nom que l'on sache ! <br /> Gaspard F   
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