Au milieu de son travail calligraphique, Mademoiselle Fleuve s’aidait d’un dictionnaire pour retrouver un caractère non simplifié. Un mot simple comme « bienvenue », composé de deux caractères écrits dans tous les restaurants, peut se révéler d’une complexité d’écriture décourageante. Sans dictionnaire, un Chinois raisonnablement éduqué ne peut pas l’écrire sans faire de faute et du premier coup.
C’est le problème propre de la langue chinoise. Comme les jeunes gens écrivent sur des ordinateurs, ils ne tracent plus les caractères par eux-mêmes et tendent à les oublier. Pour écrire en chinois, il faut taper sur un clavier classique le phonème désiré, puis apparaissent les différents caractères qui répondent à ce phonème, par ordre d’importance. Par exemple, si vous tapez « wo », le premier caractère de la liste proposée sera celui qui signifie « je ». Il suffit alors de sélectionner le caractère voulu dans la liste, et de recommencer avec le prochain phonème. C’est un peu plus long qu’avec nos langues phonétiques, mais les Chinois savent aller très vite. C’est la méthode la plus pratique en attendant de trouver un système d’écriture numérique des caractères.
Mais la limite de ce système est dramatique : les jeunes Chinois savent lire et reconnaître les caractères ; ils ne savent plus comment les écrire. Une seule génération d’habitués de l’informatique a suffit pour faire oublier quelques centaines de caractères, combien seront perdus dans cinquante ans ? Et si les caractères ne s’écrivent plus, peut-on s’assurer qu’ils seront toujours lus ? Je ne serais pas étonné que dans quelques années, des jeunes Chinois décident d’en rester à l’écriture phonétique (le pinyin) et laissent tomber les caractères. (Remarquez bien que je ne serais pas étonné non plus que les Chinois ne laissent jamais tomber les caractères, car ils y sont attachés comme à leur patrie.)