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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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3 avril 2006 1 03 /04 /avril /2006 00:00

                                                               

Ce fut le tour de Serge. Après avoir longtemps tergiversé, maugréé, tracé des lettres dans le vide au-dessus du papier, il exécuta, sous la pression des filles qui lui intimaient l’ordre de se jeter à l’eau, quelques caractères qui signifient : « Examine-toi sans relâche ! »

C’était une forme d’autoportrait plutôt ressemblant, vu l’impitoyable sévérité avec laquelle il se considère généralement, mais c’était aussi un masque un peu complaisant, une pose qui lui permettait de ne rien produire tout en échappant à la honte. Plutôt que de se demander : « Suis-je vraiment un incapable ? », question que toute personne saine se pose régulièrement, il prenait le parti d’interpréter sa stérilité comme une volonté de pureté. Qui n’a déjà rencontré de ces lents travailleurs dont on dit qu’ils sont perfectionnistes alors qu’on pourrait tout aussi bien dire qu’ils sont fainéants ? Serge se drapait dans une toge de rigueur et clamait : « Ce n’est pas que je ne produis rien, je brûle tous mes écrits car je m’examine sans relâche ! Si ce n’est l’absolu, je ne tiens pas à encombrer le monde de mes productions. »

Il y avait là aussi, naturellement, indirectement, un message qui m’était adressé : « Toi qui éparpilles tes mots avec insouciance, toi qui ne crois ni au génie ni au talent, toi qui tolères tes propres récits et qui a l’orgueil de les trouver assez dignes pour être lus, méfie-toi, examine-toi sans relâche, tu verras les faiblesses intrinsèques de tes phrases. Préfère donc une phrase, une seule phrase réussie, plutôt que dix ouvrages médiocres. » Dans cette calligraphie, s’imposait comme une mauvaise conscience scrutatrice. Quand je la regarde, je crois y voir la moustache hérissée et le regard sombre de mon ami. Si cela peut m’aider à me relire une fois de plus...

Serge est mon alter ego, en Chine. J’ai le chic pour me trouver des alter ego de qualité supérieure. Car il y en a de bons et de mauvais. Un mauvais alter ego est plus près de l’ego que de l’alter, il vous ressemble, il vous comprend et vous dit ce que vous avez envie d’entendre. Le bon est un autre vous-même, il ne tolère pas vos faiblesses, il vous donne des coups de pieds au cul sans dire un mot. Il a à votre égard un peu de la sévérité qu’il s’applique à lui-même, mais moins inhumaine. Il est votre opposé, un miroir renversé, il est la droiture si vous êtes courbe, et la recherche d’absolu si vos recherches sont fragmentaires, incertaines et floues.

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