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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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27 juillet 2005 3 27 /07 /juillet /2005 00:00

Il était temps que je parte de l’auberge de Zhongdian. De retour d’une promenade à vélo vers les sources chaudes des montagnes environnantes, je vis l’auberge pleine d’étrangers, des blancs de toutes sortes. Comme ce lieu n’est répertorié que dans le Guide du routard, ils etaient tous français. Sous l’affluence, les Tibétaines n’avaient plus d’espace pour leur ballet quotidien, pour leurs chants. Elles avaient trop de travail et l’endroit perdit beaucoup de son aura.

 

 

 

A table, je me retrouvai en compagnie de sept compatriotes, qui étaient tous partis en couple ou seuls, mais qui s’étaient rencontrés sur le chemin, faisaient tous le même itinéraire, enfilant les villes en remontant le Yunnan, (Kunming, Dali, Lijiang, Zhongdian et retour à Kunming) dormaient tous dans les mêmes endroits recommandés par les mêmes guides touristiques, et surtout, restaient tous le même nombre de jours dans chaque endroits, si bien que sans l’avoir voulu, ils évoluaient dans une atmosphère de voyage organisé. Le repas me fit penser au roman Plateforme de Houellebecq. Les uns très discrets (peut-être gênés de m’avoir à leur table), d’autres gentiment rigolos, un couple mignon qui n’avait d’opinion sur rien et un couple d’âge moyen qui rongeait son frein. L’homme d’âge moyen commença à me faire part de sa déception concernant le Yunnan, comme quoi c’était trop touristique, mais sa femme, en une réplique cinglante et rapide comme une lame de rasoir, lui ferma son caquet. Une ambiance étrange régnait. Moi qui venait de passer cinq jours dans ces lieux, je me croyais autorisé à leur donner quelques informations sur les gens qui travaillaient là, les aider à distinguer entre Chinois et Tibétains, entre anglophones et non anglophones, mais je ne recueillis qu’une indifférence presque outrée. Je les dérangeais, manifestement, qu’est-ce que cela pouvait bien faire, franchement, qu’une telle ou une telle soit de telle minorité ethnique et qu’elle possède une belle voix. Quand je me permis de leur donner quelques bons plans sur les choses à visiter, à pied ou à vélo, j’eus vraiment l’impression d’une hostilité partagee. Enfin, dès que j’abordai le sujet de la danse vespérale, sur la place du village, la dame du couple d’âge moyen explosa. « Ah ! oui, parlons-en, mais c’est une honte ! » Pourquoi était-ce une honte ? « Voyons ! La Chine est détruite à coup de bulldozer et de disneyland ! » Indéniablement, elle en avait gros sur la patate, et je compris maintenant les silences et les chuchotements du début du repas. Ils visaient à éviter les bouillonnements de madame. Elle protestait que ces danses n’étaient faites que pour les touristes. C’est vrai, dis-je, mais pas pour les occidentaux. «  Non ! Les touristes chinois. C’est les pires ! » Ils critiquèrent le fait qu’on avait déguisé les femmes locales, qu’on avait perdu, finalement, toute authenticité. Je défendis une thèse adverse, disant qu’ici, à Zhongdian, jeunes et vieux s’amusaient vraiment, en dansant, et que les déguisements n’étaient que leurs habits de tous les jours, les mêmes que ceux qu’on observe en pleine campagne. Le jeune homme le plus discret de la table, celui qui n’adressait la parole à ses convives qu’en chuchotant, me regardait en secouant la tête avec de gros yeux qui signifiaient oui oui, non mais moi je ne dis pas le contraire. L’ambiance, en définitive, s’était alourdie, et je pris congé.

 

 

 

Je partis voir une dernière fois la danse. L’adolescente y était adorable, prévisible. Chaque fois qu’elle m’apparaissait, je l’imaginais avec le visage de Tao Xiao, une étudiante de Nankin. La même chevelure, la même mèche, le même genre de corps fragile, la même manière de se tenir courbée en avant. Deux ou trois Français prirent part à la danse. L’un d’eux était très grand, me faisait penser à Pierre Mazet, un copain de fac, et faisait rire tout le monde parce qu’il était grand et qu’il souriait constamment.

 

 

 

Quand je suis revenu à l’auberge, mes Français étaient attablés au bar, en un cercle hermétique, ils se réchauffaient autour d’une bière et rigolaient bien. Ils n’avaient pas mis le pied hors de l’auberge. Ils étaient échaudés, ils avaient déjà rencontré trop de désillusions sur le chemin de la rencontre des peuplades inconnues. Les tours opérateurs, les compagnies aériennes, les guides touristiques, les congés payés et les RTT, tout s’était ligué pour détruire leurs rêves d’aventures, pour ne leur permettre que des vacances tièdes, des visions médiocres, pour les réduire à l’état de touristes consommateurs. Il ne leur restait plus que la boisson et les blagues entre compatriotes pour oublier, avant la date très proche du retour à la maison.

 

 

 

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