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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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27 juin 2005 1 27 /06 /juin /2005 00:00

A l’université, je pris l’ascenseur en même temps que monsieur Fu alors que j’allais dans son bureau pour un entretien d’embauche.

Dans son bureau vide, il me parla très peu de mon CV et n’aborda pas les projets que j’avais mis au point. Cet homme gentil et distrait profitait de n’importe quel prétexte pour parler littérature et philosophie. Comme toujours chez les chercheurs étrangers, l’image qu’il se faisait de la littérature française manquait de légèreté. Si on l’écoutait, la France était un pays bourré de grands écrivains, de gros massifs de granit regroupés en chaînes de montagnes appelées "courants littéraires". Dans ce paysage aride, il n’y a pas beaucoup d’air pour respirer. Surtout, dans la fureur des classifications qui est le propre de l’université, ils cherchent des écrivains contemporains que l’on puisse étiqueter et dont on puisse saisir une continuité avec Sartre et Camus, Malraux, puis le nouveau roman, etc. On se dit que la jeune personne qui voudrait écrire à sa manière a du pain sur la planche, on n’aimerait pas être à sa place.

Il me demande combien de temps je compte rester en Chine, ce que je compte y faire, et me conseille de me mettre au chinois classique, ce à quoi je dodeline du chef mélancoliquement. Sincèrement, si je pouvais réciter des poèmes Tang, lire aisément les calligraphies Ming, je pourrais vivre sans crainte de la mort, chaque instant serait baigné de la beauté pure. Fu développe brillamment son amour pour sa culture, il prêche un converti. Puis il fait des comparaisons vaseuses avec la culture occidentale qui me heurtent mais qui ne font pas cesser mon dodelinement ; quand il en arrive à l’idée que Léonard de Vinci ce n’est pas de l’art, j’arrête tout mouvement d’acquiescement et je le regarde froidement. Il y a des choses qu’on ne laisse pas dire, et je ne renierai rien de ma culture d’origine pour l’emploi le plus prestigieux. Le moment arrive où je lui annonce que, tout admiratif que je suis de la culture chinoise, je ne serai jamais que français et qu’il ne m’entendra jamais dire de mal de ma langue ni de l’art ou de la pensée véhiculée par les langues européennes, que j’en serai toujours un ambassadeur zélé. C’était à prendre ou à laisser.

Retour sur la culture chinoise sans comparaison, comme je l’aime, comme j’aime que l’on parle culture, dans sa singularité nue. Il voit que je suis sincère et me dit qu’il est alors important que je trouve une femme chinoise et que je l’épouse ! C’est ici, je crois, que je commençais à douter d’être en entretien pour une embauche à venir. Oui, je m’emploierais à draguer des Chinoises, c’est entendu. Je ne lui avoue pas que j’ai déjà peu ou prou défriché le terrain. Il me parle d’une étudiante, grande joueuse de cithare, qui a plaqué sa carrière musicale pour apprendre le français, afin de se marier avec un étranger, c’est son désir, un Français qu’elle ne connaît pas encore. Fu me dit que ce ne sera pas trop difficile pour moi de trouver femme. Je suis gêné, j’imagine un Français dire cela à un Américain, « oui nos petites femmes rêvent de vous, vous savez, vous n’avez qu’à choisir ». Je passe, mais je ne promets pas à mes gonades une grande tranquillité dans l’appartement de fonction que l’université me fournira sur le campus.

Une étudiante entre, lui présente une épreuve de traduction : c’est le prochain livre qu’il traduira en se faisant aider par une petite myriade d’étudiantes dont il me chante les mérite. Puis on se retrouve un peu silencieux, nous sentons que nous avons fait un bon tour d’horizon des questions inactuelles touchant les arts et les lettres, nous pouvons briser là, et je reprends l’ascenseur un peu sonné.

Impossible de savoir si l’entretien s’est, en définitive, bien passé.

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