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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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29 juin 2005 3 29 /06 /juin /2005 00:00


Pourquoi ne dit-on jamais de mal de Gao Xingjian ? Le fait qu'il soit lauréat du prix Nobel de littérature (2000) semble le protéger des attaques tout autant que des lecteurs réels. Il n'atteindra la renommée qu'il mérite que lorsqu'on dira ce qu'il en est vraiment.

Je me lance et prends en premier lieu un livre qui a été lu, à Nankin, par quelques personnes. Au tout début de ma vie ici, en 2004, mes amis Catherine et Stéphane sont passés me voir lors de leur voyage en Chine. Catherine m'a laissé ce livre qu'elle n'avait pas très envie de terminer. Ou alors, elle l'avait terminé, mais elle n'en avait pas été enchantée.


Le livre d'un homme seul
est un livre à la fois décevant et très puissant. Les chapitres alternent entre un récit à la troisième personne où l'auteur raconte sa traversée de la révolution culturelle, et un récit à la deuxième personne où l'auteur se raconte aujourd'hui, en France. C'est évidemment intéressant, ces changements de pronoms personnels pour un seul individu, cela montre combien l'identité n'est pas la même, voire combien l'identité est une illusion, mais on est loin des recherches, de la confusion et de la fureur des identités qu'on trouve chez un Faulkner ou un Beckett. Gao les connaît bien, d'ailleurs, il a traduit Beckett en chinois.

Son ambition est précisément d'introduire du modernisme dans la littérature chinoise, si bien
que son écriture a quelque chose d'imitatif, voire de didactique. En revanche, le récit concernant la révolution culturelle est plein d'enseignements. Il a réussi, pour le coup, à créer le moyen littéraire de montrer un chaos inouï. Une espèce d'anarchie qui ne permettait plus aucune indépendance d'esprit, une folie intellectuelle dans laquelle tous proclamaient la même opinion, le même désir de révolution, en dépit de quoi, ou en conséquence de quoi, les uns étaient accusés de droitisme et ne pouvaient échapper aux humiliations publiques. Les accusateurs devenaient ensuite accusés et les accusés accusateurs, dans une ronde
incompréhensible qui n'avait d'autre but, semblait-il, que de permettre à Mao de récupérer l'autorité et le pouvoir qu'il avait un peu perdus. (Cela, ce n'est pas Gao qui le dit, c'est l'analyse qu'en fait Simon Leys, dans Des habits neufs pour le président Mao.)


Là où Gao est fort, finalement, c'est quand il est chinois, qu'il parle de choses qu'on ne connaît pas en Occident. Les masques, par exemple, la théorie des masques qui apparaît vers la fin du Livre d'un homme seul, à lire et à relire : la nécessité de feindre les mêmes passions que ses voisins, de feindre à tout moment, et le risque que son masque ne puisse plus être ôté, qu'il se confonde avec le visage réel. Cette idée d'un visage introuvable, irréel, me paraît très chinoise, je ne sais pourquoi, peut-être parce que les Chinois ont le sens de la dignité faciale. C'est un fait que le visage est une notion fondamentale dans la culture chinoise, ne serait-ce que dans l'expression omniprésente de perdre la face, qui est une des pires choses qui puisse arriver à un homme.
 


Je me souviens d'un Français qui est parti de Nankin l'année dernière le coeur plein d'une haine incroyable pour les Chinois, après avoir été, semble-t-il, très enthousiaste pour la vie qu'il menait ici. Il leur reprochait fondamentalement leur visage de cire, leur hypocrisie, leur manque de lisibilité. Il en était venu à les mépriser et à ne plus fréquenter que des Africains, qui, au moins, parlaient français, et possédaient un sens du contact, du sourire, qui sauvait l'humanité à ses yeux. Attiré par ces Africains, qui vivaient dans le foyer d'étudiants étrangers de l'université de Nankin, il avait créé une sorte de salon nocturne, qu'il appelait "Le Village", où nous buvions des bières assis sur des tabourets, sur le trottoir, en compagnie de Sénégalais et de Congolais qui bénéficiaient d'échanges universitaires entre la Chine et leur pays.
Ce Français colérique disait que s'il n'avait pas vécu en Chine au moins un an, il n'aurait pas pu comprendre Le livre d'un homme seul.
 


Alors, c'est peut-être cela que Gao montre le plus subtilement : la révolution culturelle a mis le pays à l'envers uniquement en faisant perdre la face, méthodiquement, à tout le monde et à chacun ; chacun se la faisant perdre à tour de rôle.


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commentaires

G
Je suis d'accord, malgre le fait que vous soyez en desaccord avec moi. La Montagne de l'ame est un tres beau roman. Je m'etonne d'ailleurs de n'en avoir pas parle. Dans mon souvenir, cet article faisait surtout l'apologie de Gao, avec ce roman, apres avoir fait des reserves sur L'homme seul. merci pour ce commentaire, je reparerai cet oubli bientot.
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B
Je me permets de noter mon désaccord avec le jugement que tu formules sur Gao. Je trouve que c'est un magnifique romancier, surtout pour "la montagne de l'ame",oublions un peu ses réferences au roman européen,admirons la superbe brume qui flotte sur sa prose.Amitiés.
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