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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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2 septembre 2005 5 02 /09 /septembre /2005 00:00
Quand on m’a proposé un appartement avec cuisine, j’ai sérieusement hésité avant d’accepter. Je vivais heureusement dans une chambre d’hôtel depuis un mois. Aucune odeur de cuisine, presque pas de ménage à faire. Tout mon univers domestique était concentré autour de moi, à vue d’œil. Comme un personnage de Beckett, j’avais sous la main toutes mes possessions, que je pouvais remuer sans bouger de mon lit.
J’ai accepté la proposition pour une raison sociale, je crois. J’ai pensé qu’objectivement, un appartement avec cuisine était un mieux, du point de vue de la reconnaissance, par rapport à une chambre, et que c’eût été absurde de refuser. C’eût été comme refuser une augmentation de salaire sous prétexte que je n’avais pas besoin d’argent supplémentaire pour réaliser mon bonheur sur terre. J’ai peut-être, de ce fait, reculé d’un pas sur le chemin de la sagesse, qui sait ?
Ma première impression est une impression de grandeur. Je sens que j’ai trop d’espace pour moi. Je me sens trop petit, trop mince pour remplir ce lieu. Mon idéal étant une pièce cubique (voir l’article Déménagement), je me sens un peu perdu, je marche de long en large, toujours un peu inquiet de cette pièce inhabitée, là-bas, de l’autre côté du couloir.
Il n’est pas impossible que je me mette à grossir pour occuper plus d’espace et m’accorder à mon nouvel appartement.
 
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1 septembre 2005 4 01 /09 /septembre /2005 00:00
Vous allez me prendre pour un fou, mais moi, je suis tellement de gauche que je suis contre la sécurité de l’emploi.
De plus en plus de jeunes gens sont ainsi. Ils votent à gauche, mais vous leur proposez un contrat à durée indéterminée et ils prennent leurs jambes à leur cou.
Pourquoi les enseignants dépriment-ils, en France ? Ce n'est pas à cause des élèves, les élèves ce sont vos enfants, les leurs, les miens. Des enfants ordinaires, qui, sans être des lumières, ne sont pas excessivement méchants. Les enseignants dépriment parce qu’ils sentent que leur vie est enfermée dans des limites insupportables. Cette sécurité d’emploi les étouffe, les tue à petit feu.
Les enseignants rêvent d’aventure, ils se voient en Chine avec moi, en Afrique, dans la jungle et les déserts. Ils se rêvent écrivains, poètes, cinéastes, comédiens, chefs d’entreprise, avocats, footballeurs, et ne sont pas prêts à tout envoyer balader pour réaliser leurs rêves.
Leur contrat, leur statut de fonctionnaire, les empêchent de percevoir l’enseignement comme une aventure. Ils sont gagnés peu à peu par la fiction perfide qui leur dit qu’ils ne sont pas dans la vraie vie.
Ils pensent à leur famille, aux points retraite, aux crédits bancaires, à leur maison. Puis ils repensent à leur enfance et ils se suicident. C’est ainsi.
Le sage, au contraire, est précaire. Le sage peut et va mourir d’un instant à l’autre, il n’a comme maison qu’une cabane qu’il reconstruit après chaque vent violent, avec ses copains, comme Du Fu.
Comme on ne donne rien au sage, il invente des stratégies pour obtenir des plages de silence, de tranquillité, qu’il ne doit à personne. Imagine-t-on Confucius compter les jours avant les vacances ?
Quand le sage entre dans une salle de classe pour enseigner à des petits bons à rien ce que c’est qu’un axe de symétrie, il les regarde d’un œil sans amour, mais sans jugement.
Et quand un grand mollasson fait preuve d’arrogance, le sage lui murmure, en le fixant du regard  : « Quand vas-tu te décider à être parfait ? »
 
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31 août 2005 3 31 /08 /août /2005 00:00

L’autre jour, tandis que je zappais, Neige s’écria : « Oh ! Une série coréenne ! » Nous regardâmes la série dont le rythme était lent, lent, et les larmes longues à couler. Les séries coréennes ont un succès fou dans toute l’Asie, et on se demande pourquoi. Un monologue d’au moins cinq minutes d’une femme à genoux précède une scène de pleurs collectifs. Je profitai de la présence de Neige pour la faire commenter les images que nous voyions. Le succès de ces séries s’explique par la beauté des femmes. Elles sont « d’une beauté pure, presque des saintes. » Pour les hommes chinois, les femmes coréennes sont les plus féminines, comme quoi on a toujours besoin d’une plus Orientale que soi. Ce ne sont pas que les images, mais le mode de vie des personnages qui attirent Neige.

Une scène dans un intérieur surchargé, étouffant, aux canapés très rapprochés les uns des autres, m’amène à poser la question : aimes-tu aussi cette maison ? Oui, beaucoup, car elle se sentirait « remplie », dans un tel salon. Ses amies aussi, rêvent d’un intérieur cosy, aux couleurs froides, grises et marron, dont les lampes sont achetées dans des magasins de productions en série. Moi, j’avoue que je n’ai aucun goût pour la décoration d’intérieur, mais là, vraiment, rien n’est fait pour la sérénité, la respiration de l’âme. Tout vous empêche de réfléchir, de lire, de bouger.

De jeunes gens se marient, en soupirant. Neige m’explique pourquoi ils ne sont pas heureux. Ils s’aiment mais la mère de la fille vient de mourir et la famille du garçon n’apprécie pas la fille. L’homme est imberbe, il ressemble à un adolescent, la blancheur de son habit le rend fade, à la limite de l’inexistence. La femme, je le reconnais, est belle comme un ange de manga japonais. Ils vont en voyage de noce en Suisse (en Suisse !), où on les voit manger une fondue et marcher dans une rue marchande, habillés de blanc. A chaque image, je me disais : « Les jeunes femmes chinoises rêvent de cela ! » Dans la rue, il la prend dans ses bras à la manière des jeunes mariés occidentaux, elle proteste, pour la forme, mais quelle audace, en pleine rue, quel romantisme.

Ils entrent dans une chambre d’hôtel luxueuse mais effroyablement quelconque. Tout, dans cette série, tout ce qui est montré de vie, d’atmosphères, de lieux, ferait fuir un homme européen, car il s’y sentirait mourir, rien de moins. Je dis à Neige, au bord de l’apoplexie : « Comment une femme de goût comme toi peut aimer ces ambiances, ces lieux, ces vêtements ? » Elle a ri, sans plus.

Pour lui plaire, je l’ai emmenée dans un restaurant coréen. C’était la première fois de sa vie. Au sortir du restaurant, son attirance pour la Corée s'etait refroidie, la nourriture ne l’avait pas convaincue. Or, cette nourriture, c’est la seule et unique expression de la culture coréenne présente à Nankin que j’aime. L’un de nous deux était peut-être de trop, dans notre histoire d'amour.

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27 août 2005 6 27 /08 /août /2005 00:00

Dans quelques jours, mes vacances prendront fin. Je ne sais pas au juste quand, mais au début du mois de septembre, il me faudra enseigner à nouveau. Je précise que ce que je viens de vivre, je me le suis octroyé par mes propres moyens, ce ne sont pas des congés payés. Mon salaire n’était pas élevé, durant cette première année en Chine, il oscillait entre 500 et 1000 euros. Trop peu pour cotiser je ne sais quel plan bancaire pour la retraite, pour une assurance ou pour un logement. Trop peu pour venir en France quand je le désire (si je le désire), et si je viens en Europe, trop peu pour en profiter pleinement. En revanche, ici, cet argent est suffisant pour s’amuser, pour voyager et pour s’offrir deux mois de vacances. Qu’en ai-je fait, de ces deux mois ? On trouve toujours qu’on en fait trop peu, parce qu’on se voit paresser, mais en dressant le compte exact des choses faites, on peut éviter de s’en vouloir inutilement. En deux mois, j’ai 

- voyagé 20 jours dans le sud du pays.           

      sichuan_2005-7_061.jpg       picture_026.jpgpicture_004.jpg   picture_031.jpg

- relu les deux premiers tomes d’A la recherche du temps perdu. Je n’en parle pas car ce site est réservé à la Chine, mais en d’autres temps et autres lieux, il y en aura des choses à dire.

- écrit les pages de ce blog et d’autres choses.

- découvert ou redécouvert deux ou trois filles.

- lu des livres qui traitaient d’histoire économique, de philosophie chinoise, de voyages en extrême orient.

- acheté une guitare d’occasion et me suis remis à chanter tous les jours (entre autres choses, j’ai inventé une version douce et langoureuse de Unchain my heart. Si j’étais meilleur guitariste, cela pourrait devenir une version bossa nova.)

- travaillé (trop peu) les idéogrammes et progressé un peu en compréhension orale du chinois.

- découvert tout un tas de blogs que je visite régulièrement (et ça prend du temps.)

- acheté un appareil photo numérique 230 euros, ce qui grève mon budget de survie (je dois maintenant vivre avec deux cents euros jusqu’à la fin du mois de septembre, ce qui n’est pas très difficile.) La fille que je voulais immortaliser me disait d’attendre le mois d’octobre, que rien ne pressait. Je lui répondais : « Et si tu meurs demain, hein ? »

- regardé des dvd de qualités inégales, des séries américaines et des films dont je ne citerai que ceux que j’ai aimé :  L’Atalante de Jean Vigo, Aviator de Scorsese, Toni de Renoir, Mon oncle de Tati, Sobibor 14 octobre 1943 de Lanzmann, Ordet de Dreyer, Les amants criminels de François Ozon, des concerts de Nick Cave et de Portishead, des vidéos de Dire Straits. Mention speciale pour la video de Nick Cave Fifteen Feet Of Pure White Snow, pour la choregraphie soigneusement mise au point par une bande de trentenaires et quarantenaires denues de toute espece de sex appeal, mais qui savent communiquer leur amour de la musique. 

- découvert des nouveaux endroits de Nankin, des ruelles, des parcs, des courants.

- couru une centaine de kilomètres, soulevé quelques tonnes de fontes, nagé une distance équivalente à celle qui sépare, sur la Liffey, à Dublin, l’Eastlink bridge du nouveau James Joyce bridge.

- mangé quatre ou cinq poissons différents, à différentes reprises, avec mes copains Mimique ou Serge. Et avec les deux ou trois filles susmentionnées.

- suivi avec intérêt et dépit l’épisode Mickael Essien à l’Olympique lyonnais, ainsi que le début des championnats de football européens.

Et vous, qu’avez-vous fait, vous que voilà, qu’avez-vous fait de votre vie ?

 

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25 août 2005 4 25 /08 /août /2005 00:00

Neige est venue passer une petite semaine à Nankin. Elle regrette de n'avoir pas profité de cette ville quand elle y travaillait, pendant l'année scolaire. Elle dit qu'il y beaucoup de choses romantiques à faire. Soit, je l'ai emmenée au "Mémorial du massacre de Nankin", derrière le lac Sans souci.  Je l'ai aussi emmenée, sur mon porte bagage, au lac des nuages pourpres, où elle ne s'est pas baignée. Elle a tenu a visiter les tombes du premier empereur de la dynastie des Ming, juste à côté du lac. Entre un massacre, une tombe et un lac où on trouve des noyés chaque année, c'était un festival du romantisme son séjour.

Le jour de son départ, devant le taxi, elle a quelque chose à me dire. Elle s'excuse encore de m'avoir dérangé, et elle ajoute qu'elle m'aime. Elle me regarde et attend ma réponse.

Que faire dans ce cas là ? Si on est amoureux, c'est facile, on dit je t'aime moi aussi. Dans mon cas, on attend, on se dit que c'est un mauvais moment à passer.

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24 août 2005 3 24 /08 /août /2005 00:00

Les remparts de Nankin datent du premier empereur de la dynastie Ming, Hongwu, qui, dès le début de son règne, en 1368, fit de Nankin la capitale de l’empire. D’où son nom : Nan (sud) Jing (capitale). Ses successeurs préfèreront Pékin, ce qui précipitera leur chute car c’est dans la région de Nankin que la vie était intense, intellectuellement, commercialement et du point de vue agricole. Quitter Nankin, cela signifiait quitter la vraie vie, se retrancher dans un monde parallèle qu’ils construisirent de leurs mains : la Cité Interdite en est l’illustration.

Mais les remparts de Nankin ne prennent pas place dans un désert. Ils suivent les courbes du territoire et, grâce à cela, ne forment pas un quadrilatère ennuyeux. Au nord-ouest, la ville se love au creux d’un méandre du fleuve Yangzi. Au nord, les remparts descendent vers le sud en contournant le lac Xuanwu à l’est, (ils laissent le lac à l’extérieur de la ville, soit pour en faire un endroit de villégiature, soit pour des raisons militaires) puis repartent vers l’est pour frôler la montagne Pourpre et or, avant de suivre une petite rivière qui les conduit, vers le sud, à une colline, la terrasse de la Pluie et des Fleurs, (laissée elle aussi à l’extérieur de la ville) qui est toujours l’extrémité sud de Nankin. De là, les remparts suivent la rivière dans la direction du Yangzi au nord-ouest, laissant sur la gauche le lac Sans Souci.

On le voit, Nankin est défini, enveloppé par des rivières, des lacs et des monts. Eau courante, eau stagnante, montagne : ce sont les trois éléments principaux des jardins chinois. D’un côté, les Chinois se laissent entourer, enfermer, par des réalités qui les dépassent ; ils s’y creusent un nid, s’y confinent. D’un autre côté, ils recréent en plus petit ces paysages, ils enferment les montagnes et les océans dans leurs jardins et s’y promènent, s’y reposent, y jouent au mah-jong.

 

 

 

 

 

 

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23 août 2005 2 23 /08 /août /2005 00:00

A qui s’ennuie dans la vie, je recommande d’apprendre la chinois. L’apprentissage des caractères, dès le début, procure un plaisir pour l’esprit qu’aucune autre langue ne peut donner.

Pour se souvenir des caractères qu’on apprend, chacun se construit ses propres bricolages mnémotechniques. Moi, je me raconte des histoires. C’est l’idéogramme qui impose une narration à mon esprit, pas l’inverse. Ici cinq exemples, classés du plus évident au plus incertain.

Le mot « bon » est composé du caractère « femme » à côté du caractère « enfant ». Vous vous faites d’emblée une image qui est le début d’une histoire. Avoir une femme et un enfant, voilà qui est bon. Ou alors, que la femme s’occupe de l’enfant, voilà qui est bien.

Le mot « paix » : la « femme » surmontée d’un « toit ». La femme à l’abri, voilà ce qu’on perd en état de guerre. Ou alors : « Ah quelle paix on goûte dans cette maison ! »

Le mot « fatigué » : au centre de cet idéogramme, le caractère « champ ». Pour le distinguer d’autres idéogrammes proches, je me dis : « J’ai bien travaillé dans le champ, donc je suis fatigué. » Cela n’a rien d’étymologique, je le rappelle.

Le mot « amour » est composé avec le caractère « griffe ». Quel genre d’amour est-ce là, est-on en droit de se demander. Deux images possibles : celle de la possessivité excessive qui retient l’amant(e) dans ses serres et celle de l’amour sauvage qui dit qu’il n’est d’amoureuse que tigresse.

Le mot « bureau » est composé avec le caractère « cadavre ». On ne peut faire autrement qu’échafauder un polar, avec un fonctionnaire de la poste tué dans son bureau, caché par un collègue jaloux. Ou n’importe quelle histoire à dormir debout.

 

 

 

 

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21 août 2005 7 21 /08 /août /2005 00:00

Il y a tellement d’animaux qui vivent chez moi que je pourrais, si j’en avais l’envie et le courage, devenir le Buffon de la province du Jiangsu. D’abord des fourmis, omniprésentes un peu partout. Les premiers jours, je pensais qu’elles disparaîtraient avec le temps, dérangées par la présence d’un animal autrement bruyant qu’elles, autrement nuisible pour elles qu’elles ne l’étaient pour moi. Mais non, elles s’accommodèrent très bien de ma présence, elles firent preuve d’une indifférence bienveillante à mon égard qui confinait à l’insolence. Moi aussi, je me suis vite habitué à leur présence. Du moment qu’elles respectaient les règles tacites d’une cohabitation respectueuse d’autrui. Elles ont leurs trajets, leurs lieux d’entrée et de sortie de l’espace commun de l’appartement, j’ai les miens. Elles passent sous la baignoire, je me baigne dedans. Jusqu’à présent, nous ne nous plaignons pas.

Une espèce de cafard gigantesque fit aussi son apparition dans ma salle de bains. Au début il se cachait derrière un tuyau dès qu’il me voyait, (ou me sentait, je ne sais pas quels sont les organes de perception de cet insecte). Je le laissai faire car il ne faisait de mal à personne. Assis sur le trône des toilettes, je pensais que, si ça se trouvait, il était utile à l’élaboration d’une forme d’harmonie écologique au sein de l’hôtel. Peut-être qu’après tout mon appartement était un écosystème à lui tout seul. L’autre jour, en revanche, je l’ai vu, lui ou un de ses semblables, se promener autour du lavabo.

« - Tu fais erreur, camarade, lui dis-je. Ici, ce n’est pas ton lieu, ça m’est strictement réservé. » Alors je l’ai tué sans pitie. Je l’ai fait tomber à terre et l’ai écrasé d’une semelle lourde. Il faut savoir être cruel avec les animaux. On peut à la rigueur dresser un chien, mais comment faire comprendre à un cafard la subtilité de l’occupation des espaces ? Sans même évoquer le concept de propriété privée ?

Sur le deuxième lit de ma chambre, sur lequel je vais parfois, pour changer, ou pour laisser refroidir la chambre sans être atteint par l’air climatisé, je vis une araignée, l’autre jour. Une toute petite, de celles qui vous mordent. J’avais trouvé le responsable de mes démangeaisons. Autour d’elle gisaient des cadavres de fourmis.

« - C’est toi qui les a tuées ? lui dis-je. Mais tu es terrible. » Elle s’échappa. Je vis qu’une araignée marche beaucoup plus vite qu’une fourmi, c’est difficile à croire.

Dehors, sur la fenêtre, un oiseau s’agite. Il construit un nid juste sous le toit, entre ma fenêtre et la gouttière. D’ici à ce qu’il entre chez moi et communie avec ceux que j’ai déjà adopté, il n’y a qu’un mouvement d'aile.

Dans les moments de méditations, c’est-à-dire de paresse du corps, je me rêve en Saint François d’Assise, alors je me laisse pousser la barbe pendant quelques jours, fais attention où je pose les pieds et me gratte sans haine, considérant les morsures et les piqûres comme un témoignage d’amour chrétien, au même titre que les disciples du Christ mangent son corps à chaque fois qu’ils communient. Puis les bestioles m’agacent à nouveau et je les tue toutes, toutes celles que je vois, je leur tends toute sorte de pièges. Enfin je me laisse gagner encore une fois par la paresse et les laisse libres de leurs mouvements. Voilà à quoi se résume ma vie avec les bêtes.   

 

 
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20 août 2005 6 20 /08 /août /2005 00:00

L’émission de télévision s’appelle Small talk. D’un côté du plateau, les quatre Français assis sur des fauteuils, de l’autre l’interviewer américain entouré d’une flopée d’étudiants chinois.
Dans le public, ma petite Neige, qui était tout sourire, excitée d'assister à sa première émission sur un plateau. Dans sa ville, au nord du Jiangsu, il n'y a peut-être aucune chaîne de télé. Mais je ne veux pas faire le malin, pour moi aussi c'était une première.

Je ne m’étais pas fait couper les cheveux depuis des mois, mon dernier rasage datait du début de la semaine et j’avais peu dormi la veille. Si je n’avais pas porté une éclatante chemise rouge, qui s’accordait très bien avec mes yeux injectés de sang, j’aurais ressemblé à un clochard. J’ai bien peur que le téléspectateur chinois se souvienne de moi comme un Européen au bord du gouffre.

Neige, pour me consoler ou pour me motiver, m'assurait que j'étais très bien. J'étais tellement fatigué que je l'ai crue.

L’émission commença par la diffusion d’un mini reportage, sur fond d’Hélène, je m’appelle Hélène, concernant ce qui pouvait passer pour français à Nankin : une boulangerie allemande, un magasin de nourriture américaine, un restaurant latino, un hypermarché Carrefour. Puis vint le micro-trottoir où l’on demandait aux passants ce qu’ils pensaient de la France, à quoi tous répondirent : "浪漫", romantique.


Lors de la première réunion avec la productrice de l’émission, nous avions plutôt été réticents, pour ce qui était du romantisme. Nous avions tendance à dire que les Français ne l'étaient pas plus que n’importe quelle autre nation. Nous avions à cœur de lutter contre les préjugés de toutes sortes.

Or, très vite, nous nous aperçûmes que cela rendrait l’émission assez ennuyeuse, de répondre par la négative à chaque question. Romantique ? Non. Elégant ? Non. Amoureux du fromage et du vin ? Pour moi, c’était oui, que ce soit ou non un préjugé. Antiaméricains ? Non. Arrogant ? Non.

Alors, dans les coulisses, avant le début de l’émission, nous nous sommes mis d’accord pour dire n’importe quoi et donner aux Chinois ce qu’ils avaient envie d’entendre. Nous pétâmes soudain la forme. Moi et mes yeux rouges, je prétendis être ultra romantique, d’une voix sonore qui aurait fait fuir n’importe quelle femme. J’avouais, pour faire couleur locale, que j’étais venu en Chine attiré par la beauté des femmes (c’est faux, les femmes ont été en réalité la plus belle surprise, dès mon arrivée.)

Vous savez comme on peut être énergiques, quand on est en manque de sommeil. On tient sur les nerfs, on devient une boule sans forme et sans fond. C'était moi sur le plateau, avec des yeux de loup.

Le présentateur sut profiter de l’énergique idiotie qui nous habitait. Il demanda à mon voisin de chanter une chanson. Il chercha longtemps, lui qui avait toujours des vers à la bouche. Le présentateur fit avancer une étudiante vers mon collègue pour l’inspirer. Il se leva, prit la main de la fille et chanta Hélène, tu t’appelles Hélène. Succès sans ombre. Deux autres Français chantèrent La vie en rose, pour je ne sais plus quelle raison.

J’étais intenable, sur toutes les questions, il fallait me faire taire car j’avais quelque chose à dire. Je fis, à la demande du présentateur, la bise à une étudiante, pour montrer comment se passe cette tradition du baiser-pour-dire-bonjour. La fille vit mon visage négligé se baisser sur elle, et elle recula, effrayée. Pour les besoins de la télévision, j’ai été obligé de la ramener à moi d’un bras ferme et de l’embrasser, d’autorité, sur les deux joues. Les étudiants du plateau poussèrent des cris.
Voilà ce que c’est que les Français de Nankin. Romantiques et très au fait des bonnes manières.
Quand je retournais à mon siège, je jetais un oeil à Neige, qui ne s'était pas dépris de son sourire. Elle me fit signe, derrière les projecteurs. Elle semblait s'amuser grandement.

Vint la question du rapport tendu entre les Français et les Américains. Je cherchai à être conciliant et dis qu’au moment de la guerre en Irak, nous avions pensé la même chose que trente ou quarante pourcent de la population des Etats-Unis. Argument sans doute fallacieux, j'affirmais que même dans la plus grande crise, nous étions en accord avec des millions d'Américains.  
J’insistais sur le fait que nous aimions la culture américaine, le blues, le jazz, les films de David Lynch, qu’il y avait mille choses que nous accueillions chaleureusement, ce qui nous donnait le droit de critiquer quand ils produisaient et imposaient des choses moins folichonnes.
Le présentateur avait l’air conquis. C'est alors qu'on nous demanda quelle était pour nous l'image-type de l'Américain. Mes efforts de pacification entre les peuples furent ruinés d'un coup par mon voisin qui affirma, sans une seule seconde d'hésitation : « Fat and stupid. »

A la fin de l'émission, nous avons dû nous exprimer en francais sur ce qui nous manquait en France, mais là, même dans ma langue natale, c'était trop compliqué pour moi, j'ai répondu à côté de la plaque. Je crois que chacun a dit ce qu'il a voulu sans ordre ni coherence.


Quand Neige visionna le dvd de l'émission, quelques mois plus tard, elle la trouva très bien, rythmée et intéressante.
Si je n'avais pas destiné ce dvd à ma mère, elle l'aurait voulu pour elle-même.
Intéressante ? Tu as trouvée cette émission intéressante ? Dans un rire, elle a dit oui, très intéressante.
Cela m'a fait douter, un instant, de la profondeur et de la pertinence de notre relation.

 

 
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19 août 2005 5 19 /08 /août /2005 00:00

J’attendais Neige d’Orient sur le Campus de Nanshida, l’Université normale de Nankin. C’est un endroit central, calme, où l’on peut se promener. Les campus dégagent toujours une atmosphère idéale, un mélange de sensualité, incarnée par les filles et les garçons assis sur les pelouses, et d’étude, incarnée par ces mêmes jeunes gens qui, un livre à la main, révisent leurs leçons. Neige n’aimait pas les bâtiments chinois de Nanshida, pourtant colorés, aux toits incurvés, elle les trouvait déprimants, oppressants. Elle était excitée à l’idée d’aller dans un studio de télévision. Le soir même, je devais enregistrer une émission, sur la chaîne locale, dont le thème était « les Français à Nankin ». Nous étions quatre Français à être interrogés par un Américain qui parlait chinois. L’émission se faisait en anglais, c’était une forme de programme éducatif. Neige me demandait si j’étais prêt, si j’avais le trac. Nous étions prêts, puisque les questions tournaient autour des stéréotypes hexagonaux, le romantisme, la nourriture, la mode et l’anti-américanisme. Neige connaissait surtout le stéréotype du romantisme. Elle fut surprise d’apprendre qu’il existait une antipathie supposée entre les Américains et les Français.

« - Je croyais que l’Europe était une grande famille. »

J’ai marché près d’elle, pendant quelques pas, en silence. Que voulait-elle dire, exactement ? Et comment tourner ma question ?

« - Est-ce que tu pensais que l’Amérique était en Europe ?

- Oui. » Neige est une fille très intelligente. Elle parle comme elle pense, et elle pense à la pointe de son savoir, à la limite de son ignorance. Cela rend les conversations très saines.

« - Et l’Australie ?

- Aussi. »

J’ai dû laisser couler encore un peu de silence. Nous ne vivions pas dans le même monde, c’était le cas de le dire. Je ne pus retenir un petit rire, car je ne suis pas fait de bois.

« - Je me demande comment tu perçois l’Europe. C’est un immense territoire, pour toi ?

- Oui, c’est immense. J’ai tort, n’est-ce pas ? Un immense continent avec beaucoup de pays. En revanche, je sais que le Japon n’est pas en Europe. »

Je n’ai pas pensé à lui parler de l’Afrique et, surtout, je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui faire dessiner une carte du monde, là, assis sur un banc. C’est un motif puissant de rêverie, que d’entrer dans les représentations des autres, en particulier des jeunes femmes chinoises. Et en particulier d’une femme qui nous touche. Cet après-midi là, vraiment, j’aurais voulu qu’elle me dise tout d’elle, tout ce qu’elle sait, entrer en elle et voir les choses comme elle les voit. Voilà mes rêveries.

Les choses se sont passées autrement. C’est moi qui ai fini par lui dessiner une carte du monde, dans un restaurant. Elle était moyennement intéressée. Qu’un océan sépare l’Europe et l’Amérique, cela ne l’impressionnait pas, même si cela bouleversait ses conceptions géographiques. Simplement elle avait imaginé des choses concernant la deuxième guerre mondiale qui ne tenaient plus debout. Il fallait tout repenser, tant pis. 

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