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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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27 juillet 2005 3 27 /07 /juillet /2005 00:00

Ce passage par des altitudes inhumaines a constitué, en quelque sorte, une préparation physique avant la reprise de la saison, comme les footballeurs qui font un stage à Tignes avant de redescendre à Lyon, ou ailleurs. Le bus, qui cahotait terriblement, n’évoluait lui aussi qu’à des hauteurs vertigineuses. Nous avons dépassé plusieurs fois les 6000 mètres d’altitude. Alors, dans ses conditions, mes vaisseaux sanguins étant mis à très rude épreuve, mon nez saigna abondamment. Dès la première heure de trajet, sur la ligne Daocheng-Kanding, après avoir fait des bonds de plus de cinquante centimètres de haut, je dus me fourrer des mouchoirs en papier dans la narine gauche, que je jetais par la fenêtre quand ils étaient imbibés de sang. Les Tibétains s’écartèrent, autour de moi, mi par respect, mi par dégoût.

A la pause déjeuner, je consultai une pharmacienne, dans un village à flanc de montagne d’une beauté à couper le souffle. La dame me fit pas mal attendre, elle téléphonait, parlait avec les passants, j’avais peur de voir le bus partir sans moi, ce qu’il avait déjà fait à une pause précédente pendant laquelle j’étais allé me rincer dans une rivière. Finalement, elle me tapissa la cavité nasale d’une pommade odorante qui brûlait les vaisseaux, et qui me permit de rentrer avec dignité dans le bus, sans effrayer les jeune filles.

Le soir, à Kanding, le sang coula encore. Je partis à « l’hôpital du peuple », où le docteur me fit une belle impression. Un petit homme jovial qui sortait lentement ses instruments, dont une pince passablement rouillée. A l’aide d’un miroir frontal, il regarda la cavité et y enfonça un matelas de mousse imbibé de je ne sais quel produit. Il me raccompagna à l’accueil pour acheter les médicaments et pour m’expliquer la posologie. Comme je n’étais toujours pas certain de comprendre, nous en vînmes, devant les infirmières souriantes, à faire des dessins sur l’ordonnance. Puis il me souhaita bon vent en me disant que la Chine et la France étaient des pays amis, et partit draguer les filles de l’accueil. On ne dira jamais assez combien Chirac nous rend populaire dans ce pays. Je ne voudrai pas être malade quand un Sarkozy sera Président, qui, pour se rapprocher des Etats-Unis, prendra ses distances avec la Chine, tant il est vrai que les Chinois identifient les ressortissants d’un pays avec son dirigeant.

Le lendemain, à Chengdu, capitale de la province du Sichuan, je me laissai tenter par une spécialité locale. Or, le Sichuan est connu dans la Chine entière pour sa cuisine épicée. Après une ou deux bouchées, mon nez et mes yeux ouvrèrent les vannes. Je ne m’arrêtai pas de manger pour autant, mais je retournai vers le stand pour commander une spécialité à la pastèque. Difficile de parler chinois quand sa bouche est inondée de larmes et de morve. Je demande au vendeur je veux ce truc à la pastèque avec de la glace. Le vendeur regarde son assistante, ils se marrent, ils me regardent. Ce truc, là, c’est ce que je veux. Ils se marrent. Alors un rire nerveux me prend et sous la secousse, le sang se remet à couler. Ils ne rient plus, ils contractent leur visage dans une grimace gênée, et moi de rire de plus belle. Le vendeur pointe une autre spécialité. Non, vénérable vendeur, écoute-moi bien, pour l’amour du ciel, ce truc glacé à la pastèque, à la pastèque, nom de Dieu. Ah, dit-il, je crois qu’il veut le truc à la pastèque, l’étranger.

C’est la dernière fois que j’ai vu mon sang, lors de ce voyage.  

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23 juillet 2005 6 23 /07 /juillet /2005 00:00

De Zhongdian a Chengdu, la route se fait en car, en trois jours minimum, en faisant etape a Daocheng et Kanding. Beaucoup d'etrangers s'arretent a Litang, le village le plus haut de Chine, a plus de 6000 metres d'altitude. Moi, j'ai prefere alle me promener dans la reserve naturelle de Yadin. On y accede depuis Daocheng, (apres avoir dormi a Daocheng, car le premier jour de car a dure 16 heures), avec un mini bus prive qu'on loue a plusieurs voyageurs.

La-haut, je me suis apercu que j'etais en territoire bouddhiste. Trois montagnes sacrees dont les Tibetains font le tour pour un pelerinage ascetique. J'etais en compagnie d'un couple de Hollandais et de deux Shanghaiennes qui n'avaient jamais marche en montagne et jamais dormi en pleine campagne, sans toilettes ni douches. Leurs chaussures de randonnee etaient neuves. Presque tous les Chinois vus ici sont dans le meme cas. Leur inexperience se lit sur leur accoutrement. Ils portent beaucoup trop de sacs, certains apportent meme leur autocuiseur pour se faire du riz. Tous leurs vetements respirent le magasin "outdoor", un bon nombre d'entre eux portent des bottes en plastique brillant, celles que nous portions, enfants, quand nous jouions dans le sable, les jours de pluie. Les Tibetains locaux profitent de ce nouveau tourisme pour proposer des chevaux. C'est un succes, assurement. Les femmes qui sont venues en chaussures a talons n'ont pas d'autres choix, et d'ailleurs n'etaient certainement pas venues dans l'idee de marcher. Bref, la randonnee en montagne est, dans ce pays, un concept tres nouveau.

Le premier jour, on marche jusqu'a un campement, a plus de 4000 metres d'altitude. Le lendemain, les Chinois prennent des photos et font je ne sais quoi. Moi, je pars a l'aube pour faire le tour des montagnes sacrees et rejoindre Yadin, puis, le soir, Daocheng. Journee eprouvante, onze heures de marche sans pause dejeuner, plusieurs cols a plus de 5000 metres d'altitude, le souffle court, la tete oppressee, le nez qui saigne finalement. Aucun Chinois ne se sera aventure sur ce chemin, seulement des familles de Tibetains qui, tous, des plus jeunes aux plus vieux, me depassaient allegrement, m'offraient  du tabac a priser dans les moments vraiment durs, otaient leurs chaussures pour marcher sur les cailloux, accrochaient leurs prieres en tissu dans les endroits  voulus.

Un vieux moine, en particulier, m'attendait quand il se reposait et m'enjoignait de m'asseoir. Il souriait. Il souffrait, lui aussi, mais il repartait et me mettait toujours cinquante metres dans la vue. (je dois dire a ma decharge que j'etais la seule personne chargee d'un sac a dos, lui-meme charge de toutes mes affaires d'un mois de voyage.) Souvent, des pierres etaient posees en tas, les pelerins en posaient une en passant, ou en deplacait une, frequemment. Parfois, ils en posaient, en equilibre, sur des arbres ou des rochers. La montagne est ainsi constellee de constructions en pierre,  des pierres relevees, des pierres en faisceaux, c'est tres mysterieux, comme s'il ne fallait pas laisser la nature a elle-meme. Des specialistes du bouddhisme tibetain doivent savoir de quoi il retourne. A un certain sommet, des chapeaux etaient poses par terre, puis de plus en plus de chapeaux, des casquettes, des bandeaux. Apres un certain sommet, plus personne n'a de couvre-chef, sauf moi qui me demandais si j'arriverais un jour a destination.

A la derniere descente, longue de plusieurs heures, je me suis assis, sous la pluie, comme un bonze, une boule de mouchoir dans le nez. C'est la que je me suis fait rejoindre par mes amis bataves qui etaient partis une heure et demi apres moi. Leurs affaires portees par un cheval conduit par une superbe Tibetaine, il m'avait rattrappe en ne faisant aucune pose non plus. Ils vomirent en silence, c'etait tres chouette. Ils ont decide de rester une nuit de plus, alors que je devais rentrer au plus vite. Je trouvai une voiture qui voulut bien me ramener a Daocheng, en fin d'apres-midi. Une famille charmante de Chongqin, qui me vit seul sur la route. Ces gens m'ont fait penser qu'en Chine, un aventurier pourrait facilement faire du stop pendant des mois sans aucun probleme.

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23 juillet 2005 6 23 /07 /juillet /2005 00:00

Je distingue maintenant les voix des Tibétaines qui travaillent à l'auberge. Quand elles chantent, je sais laquelle chante quoi. Il y en a une troisième, d'ailleurs, mais qui n'est pas tibétaine, qui siffle souvent La vie en rose, et qui la chante en faisant la la la. Je suis sûr qu'elle sait que c'est francais, et elle le fait pour faire plaisir aux deux Francais du lieu, l'étudiant en ethnologie et moi. Mais je peux me tromper.

Quand elles se parlent, elles parlent en tibetain. C'est une langue tres agréable à l'oreille, qui fait penser lointainement au turc. Là aussi, je dis peut-être une énormité.

Je ne rate jamais une occasion de discuter avec la plus jeune des Tibétaines, dont les manières et la voix m'émerveillent. Elle me demande : c'est loin  la France ? Oui, c'est très loin. C'est plus loin que Pékin ? Oui, c'est encore plus loin. Il n'y a pas de mot pour décrire le regard, silencieux, avec lequel elle m'a regardé.

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23 juillet 2005 6 23 /07 /juillet /2005 00:00

Tous les soirs, dans la vieille ville de Zhongdian, une danse tibétaine est organisée sur la Place centrale. Le premier à m'en avoir parlé est JB, un étudiant en ethnologie qui passe ses vacances ici.
Il a observé cette danse sous l'angle ethnologique, disant qu'elle n'était pas authentique, "c'est ça qui est intéressant", disait-il, l'oeil brillant. 
Ces danses sont bien traditionnelles, mais normalement (!) elles ne se font pas en public, sauf événements particuliers (mariage, naissance...) Le reste du temps, les Tibétains dansent chez eux, comme une forme d'exercice physique.
JB pense que les gens du village sont "encouragés" à le faire par on ne sait trop qui. Une sorte de Conseil municipal, n'en doutons pas. Il m'apprend que ces soirées dansantes sont toutes nouvelles,  qu'elles datent du mois de juillet 2005. Avant, c'est simple, la place etait en travaux, et avant les travaux, rien de tout cela n'était organisé, la ville n'etait pas encore vraiment touristique.


Je dis "la ville", par habitude, mais c'est un village, ou plutôt un bourg, avec une partie chinoise, commerciale, où l'on arrive en bus, avec la gare des bus et quelques hôtels, et une partie tibétaine que j'ai nommé plus haut "la vieille ville".

La musique est diffusée par un haut-parleur, et les gens dansent avec beaucoup de plaisir. D'autres gens regardent, avec plaisir aussi. Des vieux en chapeau, des vieilles en habit traditionnel, et des jeunes, les collégiennes que j'avais vues au temple, la veille, se mélangent avec facilité.
Au centre, un vieil homme ivre mime les pas de danse, les exagère, mi-moqueur, mi-donneur de rythme. Autour de lui, des gamins se chamaillent. Tout cela me paraît franchement gai et nullement forcé par les autorités. C'est plus proche d'une fête de village organisée par un comité des fêtes de la mairie et très appréciée par les locaux.
Les touristes chinois se régalent, ils se joignent au cercle et prennent des photos.

Au bout d'une heure cependant, la musique vous met dans un état d'hébétude, voire d'idiotie, qui n'est pas sans rappeler les états fièvreux dont j'ai deja parlé. Une transe, peut-être, qui est soulignée par l'accumulation des danseurs. La soirée commence avec un cercle, deux heures plus tard, ce ne sont même plus quelques cercles concentriques, mais une marée humaine qui tourne en rond.

Un vieux, arborant un chapeau panama, danse avec beaucoup de dignité. JB dit qu'il est là tous les soirs. Il est en effet présent dès les premières notes, et ne se départit jamais de sa dignité. On le croirait au temple.

Une adolescente aux cheveux longs, portant une paire de jeans pates d'eph., apporte une grâce extrême a cette ronde. Chaque geste est pesé et elle y met toute l'application et toute la sensualité que son jeune âge possède. Quand elle se baisse, elle fait penser à un héron, ou à un flamand rose. Elle transforme des pas un peu grossiers, que les vieux font pour se dérouiller, en jolis mouvements aériens. Très vite, elle m'obnubile, je ne vois qu'elle dans la foule. Elle est en représentation, comme en boîte de nuit. Je regrette de ne pas être moi-même ethnologue : j'irais l'interviewer aussi sec. Que peut bien se passer dans la tête d'une adolescente tibétaine qui danse devant ses parents, ses copains et des inconnus ? Quel genre de plaisir est-ce ?

J'irais interviewer le vieux au panama, aussi, ainsi que quelques dames en habit traditionnel. Ah! j'en ferais des choses, si j'étais ethnologue. Je passerais mon temps à parler avec les gens, à manger avec eux et à les regarder danser.

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23 juillet 2005 6 23 /07 /juillet /2005 00:00

Une étrange mélancolie se dégage du visage et des manières de la femme du patron de l'auberge de Zhongdian. Elle promène sa silhouette garçonne en réprimant toute sensualité féminine. Une droiture dans le maintien qui s'apparente à de la raideur, comme si elle se sentait observée à chaque instant. Elle passe, le long des murs, comme un fantôme. Elle est pourtant bien de sa personne. Elle vient d'une province assez riche, a fait des etudes a Pekin et y a travaillé. Elle est restée quinze ans a Pekin, avant de voyager dans le monde. Elle a passé un an en Angleterre et maintenant, la voila au fin fond du Yunnan. Elle ne s'y plaît pas tant que cela. C'est le genre de personne qui ne se plaît pas beaucoup à l'endroit ou elle se trouve.

C'est en parlant avec elle que j'ai decidé de la suite de mon intineraire. Mimique voulait revenir des montagnes de l'ouest, puis retourner dans la direction de Lijiang pour visiter les "Gorges du Tigre bondissant". Moi, je preferais continuer le voyage dans la direction de Chengdu, au nord, puisque c'est là que je prendrais l'avion pour Nanjing. Cela signifiait plusieurs jours de bus et un arrêt dans un lieu de montagnes enneigées, à Yading. D'ailleurs, la patronne, quand je lui demande son avis, préfère Yading aux "Gorges du tigre bondissant".

L'idée de partir seul ne me deplaît pas, car je ne voudrais pas être un poids pour Mimique. Souvent, les Chinois n'imaginent pas que vous puissiez vous débrouiller seul, si vous ne parlez pas bien chinois. La patronne elle-meme m'a dit d'attendre Mimique, qu'il parlait chinois et que ce serait plus facile. Rien de tel pour me convaincre de partir seul. 

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15 juillet 2005 5 15 /07 /juillet /2005 00:00

Je me retrouve seul à l'auberge de Zhongdian, Mimique continue le périple comme prévu sur la feuille de route. La vie de convalescent a du bon, on ne se sent tenu de rien, on flotte un peu.

Ce matin, ma promenade m'a mené au temple Gui Shan Da Fou, perché sur une colline qui surplombe la vieille ville. Pas trop certain de savoir si c'etait ouvert au public ou non, j'ai un peu hesité. L'entrée est gardée par des vieux civils, portant chapeau et fumant, qui vous toisent. L'un d'eux m'a fait payer un billet d'entrée et m' a rendu la monnaie de maniere tellement baroque que j'ai pensé qu'il ne devait pas y avoir beaucoup de touristes à roder dans les parages. De fait, ce temple n'est pas décrit dans les guides touristiques. De plus, une végétation peu entretenue, des herbes folles rendent le paysage bucolique. C'est, bien sûr, moins eloquent et moins grandiloquent que les temples connus, mais le charme qui s'en dgage est plus fort, peut-etre plus religieux. Un gigantesque Bouddha trone au milieu du batiment principal, arborant sa mine patibulaire enguirlandee de tissus de toutes sortes. Des animaux bizarre, une sorte de poisson monstrueux decorent les toits.
Un moine unique faisait les cents pas en chantant des choses spirituelles. Il derobait des billets de 1 yuan dans les corbeilles à offrande, en faisait des tas, toujours d'un air devot, et se les fourrait dans la manche sans cesser de chanter. Même voler les fidèles devait avoir les dehors de la plus profonde spiritualité. Après tout, il ne faisait rien de mal. Il ne faisait que rendre à Cesar ce qui appartenait à Cesar, et, de toute façon, peut-on penser que les donateurs aient un doute quant à la destination concrete, seculaire, de leur argent ?

Je me suis perdu dans de longues absences face à des statues sans grâce. La fièvre a cela de bon qu'elle installe le corps dans une torpeur propice à la contemplation. On peut rester des minutes entières hébété, absorbé par un detail, sans aucune idee en tête. Il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que je dise que la fièvre est une des voie de la méditation.

A côté du temple, un moulin a prière grand comme vingt fois la taille d'un Tibétain. A son pied, ils sont une quinzaine de fideles à le faire tourner. Les vieilles femmes sont habillées admirablement, de leur plus beau tablier multicolore, des pieds à la tête elles sont chatoyantes.  D'autres viennent les relayer et elles taillent des bavettes, comme au marché. Des jeunes sont là aussi, des collégiennes récitent leurs prières en poussant le moulin avant de se comporter en adolescentes délurées .

C'est là qu'accroupi le plus discrètement possible, je me suis perdu dans une nouvelle méditation fiévreuse, enchanté de voir ces gens se comporter comme s'il n'y avait aucun étranger qui les regardait. Petit a petit, je me suis senti devenir imperceptible.

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14 juillet 2005 4 14 /07 /juillet /2005 00:00

Le médicament dit "pour guérir plus vite" a fait son effet. Une belle fatigue généralisée. Je n'accompagne pas Mimique visiter des sites pittoresques en voiture. Je reste à l'auberge, bercé par les gestes des filles qui travaillent. Elles semblent ne jamais s'arrêter, ou alors quand je dors. J'aime la lenteur de leur corps, elles font tout avec une assurance, une absence du moindre doute qui m'enchantent, leur manière d'utiliser l'eau, la transvasant d'un seau à l'autre.

De toute la journée, j'aurai traîné de mon lit à la cour ou je prenais le soleil. A part une petite promenade ce matin dans la vieille ville, je n'aurai vu cette région qu'à travers un microcosme dont je sais que je garderai un souvenir tres agréable.

Bizarrement, le seul livre que je lis est un récit de guerre. Ceux de 14, de Maurice Genevoix, que j'ai trouvé sur une étagère dans un café de Lijiang. Je n'avais pas beaucoup de choix, mais je ne le regrette pas : le style direct de son écriture, décrivant jour après jour la galère des tranchées, donne un éclat balsamique aux  joies arrachées, ainsi qu'aux beautés de la nature. De lire ce que vivaient les poilus, franchement, rien de tel pour alléger votre peine.

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13 juillet 2005 3 13 /07 /juillet /2005 00:00

Partir dans des villages lointains et tomber malade, on peut dire que c'est la poisse.
Pourtant, bizarrement, je me sens assez bien, assez content. Les lieux où je loge ne sont pas étrangers à cela. Aujourd'hui, après cinq heures de bus à travers des montagnes et des vallées, on est arriveés à Zhongdian.
Nous avons téléphoné à une auberge mentionnée dans le Routard ou le Lonely Planet, et dont Mimique avait entendu parler. La femme du patron vint nous chercher à la gare routière en voiture, comme des clients de marque, nous qui ne dormons que pour vingt yuans par nuit (deux euros), cette fois dans une chambre spacieuse, propre, avec deux lits assez durs.
Le cadre est magnifique. Un bâtiment en forme de cloître traditionnel, une cour intérieure charmante, remplie de verdure laissée à elle-meme. De ma chambre, par la porte ouverte, je contemple les montagnes qui dépassent les toits de l'auberge. Je pourrais rester là un mois, au bas mot. Le personnel est composé de deux ou trois Tibétaines tres gentilles, âgées de vingt à trente ans. Pour dix yuans, elles nous ont fait un dîner succulent, que je n'ai pu apprécier à sa juste valeur à cause de la fièvre et de ma gorge brûlante. On a mangé en leur compagnie, comme une petite famille. L'une d'elle chante admirablement des airs tibétains qui résonnent dans les chambres, elle a ce visage rond et les joue rouge tels qu'on imagine les Tibétains.
J'ai assisté, en faisant ma toilette, à cet événement exquis qu'est son lavage de cheveux. Une belle vision de soie noire qui, sur un mètre, ondule et tombe en cascade. Sa voix est très douce, elle demande de mes nouvelles chaque fois qu'elle me croise.

Mimique aussi est aux petits soins avec moi. Il ne cesse de me demander si ce n'est pas une "maladie des montagnes". Les gens du Jiangsu sont si peu habitués à la montagne qu'ils pensent qu'être à trois mille mètres d'altitude est dangereux pour la santé. Ce soir, il est revenu de sa promenade nocturne avec un médicament occidental (appelé Gan Kang, curieux nom pour un produit occidental, mais qui contient du paracétamol, ce qui n'est pas sans me rappeler une chanson de Catatonia)  "pour guérir plus vite", dit-il. J'en ai avalé deux tablettes pour guérir encore plus vite.

Lui-même, ce matin, consommait des pilules. "C'est un médicament pour l'été... Pour calmer le feu intérieur." Cela ne s'invente pas : c'était de la poudre de serpent et de tortue. Depuis, je fais mon capricieux : moi aussi je veux manger de la poudre de serpent, ou de yak, ou d'oiseau rapace.

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12 juillet 2005 2 12 /07 /juillet /2005 00:00

On pourrait gloser beaucoup sur la musique traditionnelle de la minorité qui peuple cette région, les Naxi. On pourrait gloser, c’est certain, et sur quoi ne pourrait-on pas gloser ? Une musique vieille de mille ans et qui s’est conservée par extraordinaire. Tous les soirs, pour un billet assez cher, toute chose égale par ailleurs, on peut entendre un concert donné par un orchestre d’authentiques vieillards utilisant d’antiques instruments, tout cela sous la férule du fondateur, Xuan Ke, un homme de grande envergure grâce à qui le groupe existe, ainsi que la salle de concert et l’intérêt national et international que cette musique inspire. Cet homme parle avant et après chaque morceau, explique les paroles, refait l’histoire sous l’angle des peuples opprimés, raconte des histoires, fait rire le public, (fait son show, disons-le) et c’en est interminable. Pendant ses longues périodes, quelques vieux de l’orchestre ferment les yeux dans une grimace qui semble dire : “Tais-toi, mais tais-toi donc.”(Je connais bien cette mimique pour l’avoir souvent observée sur le visage de mes interlocuteurs.) Sur les murs, des portraits de lui, à la sortie, des caricatures de lui photocopiées et distribuées au public. Cela pourrait être pénible, mais il faut prendre cet individu pour un héros transgressif. Sa vie entière a été consacrée à la conservation et au développement d’une musique extraordinaire, et pour cela il lui sera beaucoup pardonné.

 

La musique elle-même est très audible. Quand l’orchestre joue à l’unisson, la prédominance des cordes rend le tout très mélodique et même un peu mélancolique, inspirée par le cafard que ressent le berger himmalayen à l’approche de l’hiver (ou celui que lui inspire la tendre puissance d'un yak). Soudain, un immense tambour fait rouler un orage, une kyrielle de cymbales au merveilleux son de casseroles font régner une panique, une accélération éprouvante toujours accompagnées par la douceur des cithares (guzheng et autres qing), unissant des contraires dans un désordre sonore maîtrisé. De nombreux moments font penser à de la musique contemporaine européenne, en particulier à Incise de Pierre Boulez qui, si je me souviens bien, propose un mélange de percussions variées, pierreuses, métalliques, et de plusieurs harpes.

 

Le chef charismatique, lui, fermait les yeux, frappait parfois sur une grosse grenouille en bois (celle qu’on voit dans les temples bouddhiques et taoïstes) et dirigeait bel et bien son orchestre, sans le regarder ou très peu, par d’infimes gestes et une entente avec ses musiciens qui dépasse la relation professionnelle puisqu’ils n’ont jamais joué et ne joueront jamais dans un autre lieu – cette salle et ce groupe sont la seule opportunité pour eux d’exercer leur art! Quelques jeunes apparaissent aujourd’hui, chanteurs, joueuses de cithares, pour remplacer les musiciens trépassés, mais on peut se demander ce qu’il adviendra de l’orchestre quand Xuan Ke mourra.

 

 

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12 juillet 2005 2 12 /07 /juillet /2005 00:00

Un peu malade, je profite du bon air de l'Himalaya, au pied duquel se situe Lijiang. C'est beau mais c'est tellement touristique qu'il n'est pas une maison qui n'abrite un commerce sous une forme ou sous une autre. Il reste au voyageur deux options : monter sur une hauteur pour contempler les toits, sur fonds de montagnes grandioses ; et rester a l'auberge. Pour quinze yuans, c'est-a-dire un euro cinquante, vous dormirez paisiblement en compagnie de charmants Chinois, respectueux du sommeil d'autrui, vous offrant une aide medicamenteuse, autant traditionnelle qu'occidentale, s'ils vous voient en mauvaise forme. Moi, je prends tout, sans discrimination, des tisanes infectes au gout d'argile jusqu'aux comprimés de vitamines effervescents.

Si le voyageur connait un regain de forme, si sa fievre recule, alors il ira se promener dans les rues du sud de la vieille ville, moins touristique, et il se perdra dans les ruelles, comme a Venise. Il pensera souvent a Venise, d'ailleurs, pour la presence de canaux et pour le ruissellement de details architecturaux qu'il percevra en levant le nez. Les toits, en particulier, sont une source d'enchantement inepuisable. Finalement, Lijiang est une destination ou il est bon de rester quelques jours. Meme y etre malade n'est pas desagreable.

Il pleut depuis plusieurs jours et c'est sous ce climat que nous partons aujourd'hui en vadrouille, avec quelques filles qui partageront les frais, en voiture (et avec chauffeur, je n'ai plus la force de discuter) voir quelques sites "magnifiques" (au dire de Mimique, qui tient cela d'un tel ou d'une telle.) Dans deux jours, nous devrions atteindre Zhongdian, et nous serons vraiment haut, et vraiment proche du Tibet.

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