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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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28 janvier 2006 6 28 /01 /janvier /2006 00:00

La belle employée, celle qui expose des images érotiques dans son bureau à des fins euphorisantes, me demande : « A tes yeux, quel genre de bonbon je suis ? » Elle se lance dans un descriptif détaillé des bonbons chinois parmi lesquels je peux choisir. La tâche est sérieuse, elle sort de derrière les fagots un épais dictionnaire imagé avec des traductions en allemand, en anglais, en français et en chinois. Je n’attends pas la fin de l’explication, je lui dis qu’elle est une guimauve. Il n’y a pas de réponse correcte à ce test, certainement tiré d’un magazine féminin en ligne. Je dis guimauve car il me semble que les filles ne peuvent se sentir insultées d’être comparées à quelque chose de doux, de sucré, de moelleux, de mousseux et de couleur blanche ou rose. Je suis moins sûr de la réaction de ma belle employée si je choisissais le caramel, par exemple, ou le réglisse. Les autres sucreries dont elle parle sont compliquées à expliquer, « bonbon aux fruits mais durs et blancs, bonbons mous à l’intérieur mais au lait, pas aux fruits, etc. » et n’ont pas de connotation claire pour un Français. La guimauve, ça s’accorde parfaitement aux imageries romantiques des filles d’ici, à l’ambiance de leurs photos de mariage.

La belle employée vérifie sur son ordinateur ce que signifie mon choix : « Je suis une personne importante pour toi. » Dans le mille. Elle est, effectivement, importante pour moi, dans ma vie nakinoise.

Elle dit que son mari a choisi un bonbon qui signifiait qu’elle était une amoureuse à venir, ce qui augure bien de leur mariage. Un ami en a choisi un qui était signe d’amour et de sexe actuels. A la lumière de ses deux anecdotes, je me dis que j’aurais pu faire un meilleur choix.

Quelques jours plus tard, je lui demande ce que je suis, moi, comme bonbon, à ses yeux. Elle répond que je ne suis pas un bonbon, à ses yeux, rien qui ressemble à un bonbon. « Tu es un verre de vin rouge. » Ah ? Mais ce n’est pas dans le test, je suis exclu du test, disons-le tout de suite. Elle corrige : « Tu es un verre de vin rouge charmant. » Bon ce n’est pas mal, mais enfin, cela ne veut rien dire. Elle s’excuse mais répète que vraiment, je n’ai rien d’un bonbon, ce qui me confond en vexation.

Alors elle fait encore une rectification, les joues rouges : « Tu es un verre de vin rouge chaud, doux et charmant. » Je me prends à rougir, moi aussi. Faut-il préciser qu’il ne s’est jamais rien passé et qu’il ne se passera jamais rien entre la belle employée et moi ?

 

 

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27 janvier 2006 5 27 /01 /janvier /2006 00:00

Souvent, des jeunes viennent me voir avec des chapitres de livres français photocopiés et me posent des questions de grammaire, de vocabulaire, de compréhension générale. Si je ne les arrête pas, ils peuvent me faire travailler des heures entières. Ils font une traduction. C’est-à-dire qu'un traducteur, ayant un contrat avec une maison d’édition, divise le travail en plusieurs chapitres et leur en donne à traduire. Les jeunes ne lisent pas le livre en entier et, parfois, ne connaissent pas le nom de l’auteur. Ils ne s’en soucient guère, d’ailleurs. Le traducteur récupérera les différents chapitres et fera un rapide travail de collage et d’harmonisation de style.

Je ne peux pas lire le chinois, donc je ne peux pas dire de mal, mais je prends la liberté de suspendre mon jugement sur la qualité des traductions, lorsqu’elles sont faites en grande partie par des étudiants qui n’ont pas un niveau de français suffisant pour comprendre, même globalement, des séquences entières d’une réflexion, dans un livre théorique.

Dans le Cahier de L’Herne consacré à Rimbaud, Jeanne Bem analyse la traduction en Tchèque du poème Angoisse qu’avait réalisé Nezval dans les années trente. Elle montre simplement comment les approximations de traductions peuvent mener à une compréhension inversée du texte original. Que ne donnerais-je pas pour des études similaires sur nos classiques traduits en chinois ?

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26 janvier 2006 4 26 /01 /janvier /2006 00:00

Li Lulu m’avait donné rendez-vous dans un endroit sombre du campus. Elle avait deux tickets de concert pour moi. Elle jouait du violon dans un des deux orchestres qui se produiraient ce soir-là. Elle vint en retard au rendez-vous, les cheveux humides. Elle venait de prendre une douche et de se parfumer les cheveux. Je trouvais cela formidable de se parfumer les cheveux ; ringard mais adorable. « Nous faisons cela pour sentir bien. » Connaissant la culture chinoise comme je la connais, c’est-à-dire intuitivement et approximativement, je pense qu’elle a voulu dire à la fois : « pour sentir bon » et : « pour se sentir bien ».

« -J’espère, dit-elle, qu’une très belle femme vous accompagnera. 

-Il y en aura déjà une très belle qui jouera du violon. » Quel beau parleur je fais, mes aïeux ! Aussi ringard, mais peut-être moins adorable que les cheveux parfumés de Li Lulu.

Je suis allé au concert avec Spring, qui a accepté mon invitation sans être certaine de trouver la musique « intéressante ». Je me suis fringué comme un milord et il m’était doux d’imaginer que, Spring à mon bras, nous formions un couple de demi-dieux sortis d’une série télé.

L’orchestre de Li Lulu joua les tubes attendus, le Nouveau monde de Dvorak, tout ça. Spring trouva cela intéressant, finalement. Li Lulu tournait les pages de la partition du premier violon, et jouait avec plus de sérieux que les autres. Elle se tenait plus droit que les autres, l’oreille droite rouge sang. Elle avait de l’importance dans le groupe, à n’en pas douter. Elle était la deuxième la plus importante, après le premier violon, cela se voyait à son maintien. Elle ne sourit qu’une fois, lorsque le chef d’orchestre lui serra la main.

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25 janvier 2006 3 25 /01 /janvier /2006 00:00

A la porte de mon hôtel, je vois les filles qui reviennent des bains publics. Les étudiantes sont logées dans des dortoirs sans chauffage et sans salle de bains, ce qui les oblige à passer devant chez moi pour aller se laver. Je me retrouve dans la position d’un grand Inspecteur de l’hygiène de la gent féminine.

Beaucoup d’entre elles retournent à leur dortoir en pyjamas, chaussées de pantoufles ou de savates, les cheveux mouillés. C’est charmant, vraiment. Rien n’adoucit les mœurs des hommes atrabilaires et n’attendrit le cœur des esthètes endurcis que ces va-et-vient de « Jeunes filles à la toilette ». Elles marchent d’un pas lent, décontracté, balançant leur petite valise de savons, de shampooings et de crèmes. Elles sont le parfait contrepoint des palmiers que je vois de ma fenêtre et autour desquels elles évoluent. 

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24 janvier 2006 2 24 /01 /janvier /2006 00:00

Quelques jours avant noël, un étudiant m’offre une calligraphie.

« -C’est dans le style de Wang Xizhi. Peut-être connaissez-vous Wang Xizhi ?

-Oui, je crois.

-C’est un artiste célèbre en Chine. 

-Ah ? Bien. »

Je l’ai remercié chaleureusement (je lui ai serré la main, c’est chez moi le signe de la plus excessive chaleur humaine.) Je ne connaissais pas Wang Xizhi. L’espace d’une seconde et demie, j’avais confondu son nom avec celui d’un philosophe du douzième siècle, c’est assez dire l’étendue et la netteté de mon érudition.

Toi-même, lecteur, peut-être ne connais-tu pas non plus Wang Xizhi, et qui t’en voudrait ? MOI, je t’en voudrais, maudit lecteur ! Comment peux-tu prétendre t’intéresser à la Chine sans avoir entendu parler du plus grand calligraphe de tous les temps ?

Et moi, comment puis-je regarder mes étudiants dans les yeux ? Avoir la prétention vertigineuse de leur enseigner quelque chose ? Comment peuvent-ils avoir confiance en mon jugement, continuer à dire autour d’eux que leur professeur français est « un grand savant » ? Ils sont polis avec moi, plein d’égards et m’écoutent avec une attention intense ; ils m’appellent « Professeur » et j’ignore tout de Wang Xizhi… Un Chinois qui vient en Europe pourrait-il ignorer Racine, Mozart ou Leonard de Vinci ?

Wang vivait au quatrième siècle après JC. Natif de la province du Shandong, au nord du Jiangsu, il a mis au point une forme de calligraphie « courante », le style xingshu. Son écriture était si souple et si brillante que ses contemporains furent impressionnés. Un peu plus tard, les lettrés de la dynastie des Tang furent, eux, subjugués par la beauté de son style. Depuis les Tang, Wang Xizhi est devenu le classique des classiques. Sa calligraphie présente un bel équilibre entre la lisibilité et la virtuosité énergique. Les caractères sont tracés avec une classe, une élégance et une puissance hors du monde ordinaire. Certains sont formés avec retenue, scrupuleusement tracés ; d’autres sont des éclairs de pinceaux, des zigzags pleins de charme. On considère qu’il a atteint la perfection, et les jeunes continuent d’imiter son art.

N’est-ce pas beau de vivre dans un monde où l’on peut contempler la perfection ?

 

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23 janvier 2006 1 23 /01 /janvier /2006 00:00

Flore n’avait jamais été sur les remparts. Après une leçon de guzheng, qui s’était poursuivie d’un repas où je ne m’étais pas contenu, je l’emmenais, comme promis, faire une promenade de digestion sur la merveilleuse muraille qui longe le lac Xuanwu. Le temps passait au printemps, les peaux respiraient avec un peu plus de volupté. Nous nous asseyions, nous nous promenions, nous parlions dans ce sabir des temps modernes qu’est le mandarin anglicisé.


Lorsqu’elle contemplait le lac, ou le Temple du Chant du coq, debout contre les briques brunes des remparts, je me collais contre elle et l’enlaçais dans les limites de ce qu’elle m’autorisait. Les frontières entre l’interdit et l’autorisé était nette mais impossible à prévoir. Je pouvais lui caresser les seins mais pas l’embrasser sur la bouche. Je pouvais lui mordre le cou mais pas plus d’une seconde. Je pouvais me presser contre elle par derrière, mais pas l’enlacer par devant. Selon les règles européennes, nous n’étions pas un couple d’amants, mais simplement une musicienne et un étudiant qui s’aimaient bien et exprimaient chastement leur inclination.


Nos paroles, elles, traitaient de choses très éloignées du contact de nos mains. Nous parlions des Ming, des caractères chinois qui apparaissent sur les briques des remparts, d’histoire et de géographie.

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22 janvier 2006 7 22 /01 /janvier /2006 00:00

Il neige à Nankin et je me prépare à partir pour Hong Kong. Quelques jours dans le sud, dans un village de pêcheurs où les voitures ne peuvent accéder. De quoi vous remettre les idées en place. Non que mes pensées fussent désordonnées, mais un peu de tropicalité chinoise n’a jamais fait de mal aux esprits rationnels.

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21 janvier 2006 6 21 /01 /janvier /2006 00:00

Quand les jeunes Chinois écrivent des histoires, en français, quel que soit le thème imposé, s’il y en a un, ils inventent des choses très différenciées du point de vue des sexes. Les garçons penchent vers l’aventure, les filles baignent dans la sentimentalité.

L’une des meilleures étudiantes de français raconte une histoire de château bordelais, une vieille histoire d’amour entre une Chinoise, mère de la narratrice, et un châtelain ténébreux. La narratrice passe quelques jours dans une famille de riches vignerons.  M. Dupont (c’est le nom du propriétaire) regarde la jeune femme avec des yeux bleus d’une bouleversante pénétration. La jeune Chinoise raconte son trouble : « Les hommes de cet âge sont comme des fruits mûrs qui appartiennent à un arbre. Son arbre était Mme Dupont et je dois m’interdire de voler le fruit d’une autre. Ah ! Quel est mon arbre à moi ? »

La narratrice écrit l’histoire sous forme de lettres qu’elle destine à son amoureux, resté en Chine.

Jeunes Européens célibataires et traîne-savates, si vous saviez ce qui se passe dans le cœur et l’esprit des Chinoises quand elles visitent la France, vous n’hésiteriez pas. Vous sortiriez dès la lecture de ceci achevée et iriez dans une rue touristique de votre quartier (je tiens qu’en France, et dans toute l’Europe occidentale, il n’y a plus que des endroits touristiques) choisir les plus belles asiatiques qui passent. Vous n’hésiteriez pas à vous habiller un peu bien, cravaté et peigné (mais non trop parfumé car les Chinoises n’y sont pas toujours favorables) et à aborder celle qui vous plait le plus. Vous la regarderiez avec des yeux mystérieux, vous ne la toucheriez d’abord pas et vous distilleriez, au milieu des banalités d’usage, quelques paroles absurdes. Son âme romantique fera le reste, son cœur se gonflera. Vous l’inviteriez à boire un verre et vous deviendrez, à jamais, dans sa mémoire, un héro fascinant.

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20 janvier 2006 5 20 /01 /janvier /2006 00:00

Pendant les mois de grande froideur, les Chinois ne quittent plus leurs pantoufles. Dans les supermarchés, dans la rue, de jolies filles branchées exhibent de gros mickeys en peluche sous leurs jeans déstructurés. Je soupçonne certaines coquettes d’en posséder des paires pour sortir et d’autres pour le foyer.

A l’université, dans les locaux du lointain campus de Pukou, une banlieue nord, au-delà du fleuve, les étudiantes, ainsi que certains étudiants, font des efforts d’élégance. Leurs pantoufles sont neuves, de couleurs discrètes mais fringantes, elles ne sont pas trop voyantes. Je fus surpris de les voir sortir de sous les bureaux, mais l’habitude fut très vite prise. Elles donnent, en vérité, une atmosphère agréable aux cours qu’ils doivent suivre, une ambiance familiale, chaleureuse. On se croirait dans un salon et il ne manque qu’une cheminée. Ce n’est pas une illusion, la présence des pantoufles a eu un effet d’apaisement indubitable.

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19 janvier 2006 4 19 /01 /janvier /2006 00:00

Un collegue prend une voix basse : « Guillaume » dit-elle. Mon Dieu, quand une femme commence une phrase sur ce ton, je crains le pire.

« Demain, je vais faire quelque chose de grave, continue-t-elle. Je vais me faire enlever mes points noirs. 

-Tu n’as pas de points noirs, dis-je.

-Si, tu vois, là, là et là, et là, j’en ai au moins dix.

-Ce ne sont pas des points noirs. En français, on appelle ça des grains de beauté. C’est beau, au contraire. »

Rien à faire, elle s’est mis en tête de se débarrasser de ces minuscules points que personne n’avait remarqués avant elle. C’est 50 yuans par grain. Elle me raconte, en riant, l’histoire d’une de ses amies qui s’est fait refaire la mâchoire. Les détails cliniques sont une torture pour moi, je me bouche les oreilles.

Quand ma belle collegue revient de son opération, elle a le visage criblé d’horribles pansements qui la défigurent. Elle cache son visage derrière ses mains lorsque j’entre dans son bureau. Elle me demande de ne pas la regarder, ce qui m’est une souffrance. Nous parlons en regardant ensemble dans la même direction.

Et quand, enfin, elle oublie un moment qu’elle est monstrueuse, je la regarde à nouveau. Je remarque soudain combien ses yeux sont magnifiques.

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