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  • : Nankin en douce
  • : Des mini reportages sur la vie et les gens de la "capitale du sud". En marges de l'actualité brûlante pour faire découvrir une Chine tantôt drôle, tantôt poignante.
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1 janvier 2006 7 01 /01 /janvier /2006 00:00

Faire des courses, en Chine, est usant. Il va sans dire que les commerçants annoncent des prix exorbitants quand ils voient un étranger arriver, et plus on reste de temps dans le pays, mieux on connaît les prix relatifs et plus le voyageur se sent dégoûté d’être pris à ce point pour un idiot. Une patate douce, cuite dans les fours transportables le long des rues, on n’a pas peur de vous la vendre trois yuans alors qu’elle ne vaut que cinq jiaos.

Il faut toujours se sentir prêt à négocier, car eux sont toujours prêts. Si vous ne le faites pas, vous ruinez, dans les yeux du commerçant, les tentatives des autres étrangers à obtenir des prix raisonnables. C’est la différence entre les touristes et les expatriés : les touristes peuvent avoir pitié des commerçants, voire être impressionnés par leurs grands gestes et leurs cris d’horreur. Les expatriés, en particuliers ceux qui gagnent aussi peu que les Chinois, comme c’est le cas de votre serviteur, se sentent parfois condamnés à avoir l’air d’un touriste, c’est-à-dire d’un immense porte feuille ambulant.

Et surtout, il ne faut pas croire que les commerçants vous rappellent systématiquement quand vous faites mine de partir. C’était le bon temps, cela. Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont prêts à perdre un client, même un client qui pourrait dépenser assez d’argent pour multiplier par trois ou quatre le prix de revient d’un article. Pour le commerçant moderne, ne pas voler un étranger est une mauvaise affaire, et ce même dans un contexte de grande concurrence.

L’étranger qui ne se fait pas avoir est un étranger qui n’achète jamais rien. Celui qui se vante d’avoir baissé le prix considérablement ne se doute pas de la marge qu’a réalisée le commerçant.

Si la position de l’étranger est inconfortable, c’est aussi que ses amis chinois aiment se moquer de lui à chaque fois qu’il mentionne un achat. En toute gentillesse, ils rigolent et vous disent qu’ils n’auraient pas acheté la même chose à ce prix. Ils n’ont pas tort, du reste, mais si vous faites les courses avec eux, ils sont outrés de vous voir intraitables dans les négociations. Le fait qu’un étranger joue le même jeu qu’un commerçant local et refuse le rôle rassurant du laowai qui se fait berner, gêne le sens patriotique omniprésent, larvé et enraciné dans le cœur des Chinois. C’est un manque de respect vis-à-vis de l’étiquette. Le Chinois vénère son père, adore son fils, respecte ses professeurs, méprise les serveurs, admire et gruge les étrangers.

Le voyageur profite de cet état de fait pour se détacher des biens de consommation, lui qui consomme déjà peu ; il reste fidèle à sa précarité et abandonne l’idée de posséder des choses.

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31 décembre 2005 6 31 /12 /décembre /2005 00:00

Je vis deux jeunes filles monter les escaliers, d’un air assuré, vers la salle de prière. L’une d’elles tenait une bouteille d’huile à la main. La même huile que celle qui est dans ma cuisine. Guidée par un moine, elle versa le contenu de la bouteille dans les « vasques à bougie » (le diable si je sais comment s’appellent ces lampes à huile sacrées.)

                            

Le plus beau se situe derrière le temple, la Falaise des Mille Bouddhas. Depuis le cinquième siècle après JC, des grottes ont été creusées dans la roche, qui abritent des statues de Bouddhas par centaines. Si on ne fait pas attention, on tourne de la petite colline qui se dresse devant soi. Elle seule vaut le déplacement, avec ses sculptures, ses diseurs de bonne aventure cachés dans les grottes, son Bouddha gigantesque datant de plus de mille ans, ses petits escaliers.

                                                  

Mais il ne faut pas oublier d’emprunter le tout petit escalier, sur la gauche, entre la colline et le temple, qui mène à la forêt, un chemin dallé monte en serpentant dans la montagne pour retrouver, plus loin, d’autres grottes, d’autres sculptures, d’autres lecteurs d’avenir. Un moine à la robe jaune surveille tranquillement, assis sur un rocher. Parfois, il saute d’un rocher à l’autre, comme un jeune singe, et prend des poses de bonze en affrontant le vide.

Ici, nous sommes dans un autre monde, un monde de grottes, de cavernes. Les pèlerins montent pour voir tous les Bouddhas, ils montent jusqu’au sommet, d’où ils dominent les environs.

                                                             

Ils peuvent aussi élire leur caverne préférée, celle qu’ils vont fleurir et décorer de fruits, de boîtes de biscuit. Dans ses Mémoires, John Fante raconte comment, enfant, il s’était choisi un Saint, ignoré de tous, un pauvre Saint méprisé que personne ne priait plus. Il pensait que s’il était seul à lui demander de l’aide, le Saint serait touché et redoublerait d’efforts pour intercéder en faveur du futur écrivain. Le voyageur peut rêver à quelque chose d’analogue, sur la Falaise des Mille Bouddhas. On imagine bien un pauvre enfant escalader la montagne et prier devant une minuscule grotte à l’écart de toutes les autres, qui serait un peu la sienne. Si j’étais ethnologue, j’irais demander aux pèlerins si de tels phénomènes sont pensables chez les bouddhistes. 

                                                    

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30 décembre 2005 5 30 /12 /décembre /2005 00:00

Avant que la masseuse ne commence à me tripoter les pieds, je la préviens de l’endroit qui me fait mal, quelque part dans la voûte plantaire. Invariablement, la fille tâte et me demande : « Très mal ? » A quoi je réponds : « Non, pas très. Un peu mal. » Elle masse encore un peu, me demande de confirmer si c’est bien là ou là, puis me dit : « C’est le sommeil. Vous avez des problèmes de sommeil. »

 

Ce n’est pas une question, n’est-ce pas, j’ai des problèmes de sommeil. Oui, sans doute un peu, mais pas seulement. Les masseurs ne perçoivent jamais d’autres dysfonctionnements auxquels je fais face de temps en temps. Jamais un mot sur une mégalomanie bonhomme, de passagers délires de persécution, un affaissement de la volonté qui me laisse, par moments, ébahi, hébété, ahuri et abruti au bord de la route. Je passe sur des difficultés existentielles d’ordre structurel, comme mon incapacité à me fixer où que ce soit, mon désir pervers d’être rejeté et haï, agrémenté d’une angoisse d’être rejeté et haï.

 

Alors quoi, des problèmes de sommeil, voilà tout ? On leur apprend quoi, dans leurs écoles de massages ?

Vous me direz que les masseurs connaissent et soulagent des douleurs purement somatiques, et que le voyageur peut se réjouir de n’avoir pas de problèmes plus importants, comme un cœur malade, un cerveau endommagé ou une rate qui se dilate.

 

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29 décembre 2005 4 29 /12 /décembre /2005 11:38

Les bouddhistes et les taoïstes aiment creuser la pierre et les rochers, mais ce ne sont pas les mêmes creusements. Les bouddhistes aiment rester sur le bord du chemin et protéger leurs statues dans la roche. Ils font habiter la montagne d’une multitude d’êtres immobiles.

Les taoïstes préfèrent habiter eux-mêmes la roche, ils creusent des labyrinthes et s’y perdent, ils y jouent aux échecs.

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29 décembre 2005 4 29 /12 /décembre /2005 06:22

Ma mère partie, le vide dans mon appartement et mon quotidien est immense et brutal. Mon copain Serge pense que, par un effet d’appel d’air, ce vide va précipiter une femme dans ma vie. Un phénomène d’engouffrement affectif qu’il me faudra observer de près.

 

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28 décembre 2005 3 28 /12 /décembre /2005 12:05

Pour conjurer le blues qui accompagnait le départ de ma mère, je devins morose, je la laissais seule et partais au hasard des rues.

Arrivés à Shanghai , tout m'énervait, la musique d'ambiance, le temps, les gens. Malheureusement pour ma mère, elle était ma mère et elle était là ; elle était donc la seule récipiendaire de mon humeur massacreuse. D'habitude, ce sont mes étudiants qui essuient les plâtres de mes bougonnements et hurlements. (J’en connais quelques uns, du reste, qui seraient bien avisés de ne pas faire suer le marin pendant quelques jours, car la mer sera encore agitée.)  

Cela ne s'arrangea pas lorsque, à l'aéroport de Shanghai, on annonça que le vol pour Paris était annulé. Pourquoi ? Nulle raison, nulle explication, nulle excuse.

"- On va vous loger pour la nuit", dit un stewart, ou je ne sais quel pingouin dont le rôle sur terre est de vous faire sentir merdeux, et vous prendrez un avion demain.

"- Ah oui ? (lui dis-je comme ça), le visa de ma mère expire aujourd'hui, je dois rentrer à Nankin de suite et elle ne parle ni anglais ni chinois, comment tu vas lui expliquer tout ça, grand connard ?"

J’étais un peu fatigué, c’est certain.

« -Guillaume, calme-toi, suggera ma mere.

-S’il te plait maman ne te mêle pas de ça! »

Finalement, je repris mes esprits, reportai mes cours du lendemain et restai près de ma mère encore une nuit, dans un infâme hôtel de banlieue appelé Motel 168. Les gens de cet hôtel s’arrangèrent pour nous soutirer encore de l’argent, le chauffeur de taxi prétendit ne pas connaître la route, enfin je me sentais environné de vautours et j’étouffais les sarcasmes dans ma gorge. J’endormis ma mère en lui lisant du Rabelais. Elle s’abandonna dans les bras de Morphée au doux son de ces douces paroles :

 

Es uns escarbouilloit la cervelle, es autres rompoit bras et jambes, es autres démoulloit les reins, avalloit le nez, pochoit les yeux, fendoit les mandibules, enfonçoit les dents en la gueule… Es autres tant fièrement frappait par le nombril qu’il leur faisait sortir les tripes. Es autres parmi les couillons perçoit le boyau cullier. Croyez que c’étoit le plus horrible spectacle qu’on vit oncques.

Cette lecture m’apaisa, moi aussi. Je dormis et fis un rêve si doux que je m’éveillai en forme de bon matin. C’était en Irlande, au bord d’un fleuve ou de la mer, tous mes amis étaient là, tous, même ceux que je n’avais pas vus depuis longtemps, même ceux de qui, pour cause de divergences de vues et de comportements, je m’étais séparé.

 

 

A l’aéroport, j’embrassais celle qui m’a donné le jour et repartis pour une autre journée dans les transports.

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27 décembre 2005 2 27 /12 /décembre /2005 00:00

Le voyageur ressent de l’émotion en foulant la rue qui mène au site bouddhiste car il y est déjà allé, il y a plus d’un an, avec Serge et une charmante amie chinoise qui, la première, a bien voulu faire goûter au voyageur ce qu’était l’amour Jaune. C’est aussi le lieu où il mangea du chien pour la première fois de sa vie.

                                                         

Visiter les temples bouddhistes aujourd’hui est très réjouissant. On y voit beaucoup de jeunes femmes assez séduisantes prier avec ferveur. Elles portent des jeans moulants, des chaussures à talons, elles marchent avec morgue et se prosternent en exhibant leur joli postérieur. Sauf quand il fait froid, et ce jour-là, à Qixia shan, il faisait froid. Les élégantes n’exhibaient rien d’autres que leur hautaine beauté.

                          

Si j’étais ethnologue, j’enquêterais sur l’identité de ceux qui pratiquent à nouveau les religions, après les années d’interdiction. Il doit y avoir des codes, des choix culturels très amusants. La question : « Pourquoi avez-vous choisi cette religion plutôt qu’une autre (et plutôt qu’aucune religion) ? » doit inspirer des réponses assez similaires à celles de la question : « Pourquoi choisissez-vous d’être supporter d’Arsenal plutôt que de Chelsea ? » posée à un échantillon représentatif de londoniens. En plus d’habitudes familiales, je subodore d’autres types de motivations : le taoïsme pour les vieux et les campagnards, le bouddhisme pour les jeunes et les filles glamour. J’ai la vague impression que les jeunes citadins branchés ont un penchant pour le bouddhisme, penchant qui se nourrit de la vogue pour les voyages au Tibet, dans le Yunnan et le Sichuan, d’où ils reviennent, comme mon copain Mimique, avec des airs mystérieux, prétendant avoir fait des rencontres décisives, s’être déplacés en cheval dans la montagne (ils ne mentent pas : de nombreux Tibétains gagnent de l’argent en offrant des courses à cheval, soit pour porter les sacs, évitant aux touristes de se fatiguer, soit pour porter lesdits citadins, leur évitant de crotter leurs souliers.) Cela ne manque pas d’impressionner les filles qui n’ont pas encore assez d’argent pour y aller et se payer les taxis et les quatre roues motrices qu’utilisent ces nouveaux voyageurs. Petite Biche m’a dit, en me parlant de Mimique, quand il revint du Tibet : « Je crois qu’il s’est amélioré. »

Il n’est pas impossible, non plus, que ceux qui pratiquent tâtent de toutes les religions à disposition, au cas où l’une d’elles marche mieux qu’une autre, du point de vue de la réalisation des souhaits et des prières. Il est probable que les mêmes personnes éclusent tous les temples et brûlent tout l’encens possible, dans un (joyeux) syncrétisme.

Mais je ne suis pas ethnologue et j’attendrai que d’autres travaillent sur cette question. Je ne vais pas passer ma vie à me demander quel type d’obscurantisme les gens préfèrent suivre. Je préfère garder en mémoire, bien vive, l’idée que l’immense majorité des Chinois ne ressent aucunement le besoin de croire en des billevesées créées il y a des siècles.

                                                                   

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26 décembre 2005 1 26 /12 /décembre /2005 08:19

Il faut dire qu’au départ, toutes choses égales par ailleurs, noël m’ennuie terriblement. Comme ma mère rentre en France en début de semaine prochaine, nous irons à l’aéroport par la route buissonnière. Nous nous arrêterons à Zhenjiang et trouverons refuge sur la Colline d’Or. De là, nous aviserons. Mon copain Serge et sa délicieuse petite amie nous accompagneront et, ensemble, nous trinquerons à l’amitié et drinkerons pour oublier que nous ne sommes plus des enfants.

Zhenjiang est une « petite » ville à une heure de Nankin en bus. Un paysage vallonné nous accompagne sur la route. La ville réserve des surprises ; peu de gens, en effet, la connaissent, parmi ceux qui vivent à Nankin. Les parcs, lieux de culte bouddhistes, en général, sont sur des collines qui donnent des vues imprenables sur le fleuve Yangzi.

Nous avons fêté un joyeux noël, tranquillement, autour d’une bonne table, garnie de tofu, de poisson, de boeuf (nous avons failli commander du chien, mais ma maman n'a pas voulu), de plantes, tout en buvant de l’alcool de riz chaud. Le soir, dans l’hôtel, nous n’avons pas eu le loisir de nous faire servir un café ou une bière. La seule activité qui nous était proposée était un karaoké où s’entraînait une employée de l’hôtel, espérant peut-être attirer, de cette manière, quelques résidents, ou au moins quelques êtres humains pour remplir un tant soit peu la grande salle de danse vide.

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26 décembre 2005 1 26 /12 /décembre /2005 00:00

Pour aller au temple bouddhiste de la Montagne Qi Xia, à une vingtaine de kilomètres au nord est de Nankin, le voyageur ne devra pas s’énerver. Il ira à la gare, la belle nouvelle gare ferroviaire au bord du lac Xuan Wu, et de là il cherchera un bus. Il y en a de part et d’autre de la gare. Le mieux, paradoxalement, est de se diriger vers l’ouest de la gare et de demander aux bus sur le départ. Les chauffeurs vous disent qu’ils ne vont pas à Qi Xia Shan et pointent un doigt nonchalant vers une direction qui ne paraîtra pas clairement mener vers le bon bus. Après plusieurs chauffeurs de cet acabit, un chauffeur de taxi abordera le voyageur pour lui proposer de faire la course pour cinquante yuans. Le monastère étant à vingt-cinq kilomètres de Nankin, le voyageur lui demandera s’il ne se fout pas un peu de lui et marchandera sec. La transaction n’aboutira pas, car énormément de transactions n’aboutissent à rien entre les étrangers et les Chinois. Le voyageur continuera et verra un bus qui le conduira pour deux yuans cinquante, en moins d’une heure, au temple bouddhiste le plus grand de la province du Jiangsu. Le bus n’a pas de numéro, et aucun idéogramme lisible par le voyageur ne ressemble à ceux de Qi, de Xia et de Shan ou de Si.

 

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25 décembre 2005 7 25 /12 /décembre /2005 00:00

Un jour, dans un taxi, une jolie Chinoise dit à une jeune Française dont elle était l’assistante : « Tu sens le bœuf. »

C’était un compliment. Cela voulait dire que la fille dégageait l’odeur d’une personne qui vient de passer un bon moment au restaurant. La même Française allait, quelques minutes plus tard, s’entendre dire qu’elle éternuait « comme un petit chat. »

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